Jean Giraud et ses avatars Gir et Mœbius nous ont quitté début 2012, petite apocalypse dans le monde des arts graphiques avant celle que nous prédit le calendrier maya pour décembre. Si la plupart des médias ont rappelé son influence dans la bande dessinée et le cinéma, peu sont ceux qui reviennent sur les quelques expériences du maître dans le domaine du jeu vidéo.
Il faut dire qu’elles furent marginales dans son œuvre, Gir/Moebius rêvant surtout de cinéma. Mais il a tout de même participé à sa façon à plusieurs jeux dont trois titres d’arcade.
Pour les administrations, il est Jean Giraud, né en mai 1938. Pour le reste du monde, il est le créateur protéiforme aux trois noms : Gir, Giraud et Moebius.
Les pseudonymes reflètent les styles graphiques et les univers créés. Si certains artistes recherchent leur identité graphique pendant longtemps, cet homme a réussi à avoir plusieurs styles en même temps.
Après des études à l’École des Arts Appliquées, Giraud se lance dans la bande dessinée et rencontre le succès sous le nom de Gir en signant la série Blueberry avec Charlier.
En 1963, ce western alimente le magazine de prépublication Pilote pendant plusieurs années avant que Jean Giraud ne quitte la revue suite à des désaccords artistiques.
Il faut dire que durant tout ce temps le dessinateur développe un style totalement différent avec des univers de science-fiction sous le nom de Moebius, mode exploratoire de l’inconscient et de l’onirique.
En 1975, il fonde les Humanoïdes associés avec Jean-Pierre Dionnet et Philippe Druillet. La maison d’édition publie le magazine Métal Hurlant écrin de nombreuses expérimentations graphiques dont Arzach et Le Garage Hermétique de Jerry Cornelius.
Ces œuvres sont nées d’improvisation et ont servi de laboratoire d’idées à toute une génération d’artistes. Moebius explique dans le magazine du Monde qu’à cette époque Métal Hurlant vivait sous perfusion :
Nous ne savions jamais si nous allions sortir le numéro suivant. La garantie de l’étonnement éditorial était notre propre étonnement. D’où ce personnage sans parole ni référence culturelle que je faisais le soir après le boulot – après Blueberry, quoi. C’était une façon d’être provocant.
Ainsi Gir a longtemps été le mécène de Moebius.
Songe de dragon
Si Gir jouit d’une certaine notoriété, c’est Moebius qui va bouleverser les arts graphiques avec Arzack, planches sans dialogue mettant en scène des récits sans lien apparent que le lecteur n’est jamais sûr de comprendre tout à fait.
Le personnage chevauchant une sorte de ptérodactyle au dessus d’un monde de SF plus ou moins délabré devient une icône qui franchit toutes les frontières puisqu’il n’y a aucune barrière linguistique.
Les premières planches de Nausicaä de la Vallée du Vent du japonais Hayao Miyazaki reprennent explicitement Arzacket les deux génies dialogueront tout au long de leur carrière par dessins interposés.
De même Katsuhiro Otomo (Akira) doit beaucoup à Moebius qui lui dédie bien plus tard un Tetsuo maigre et contemplatif.
L’influence est telle qu’on la retrouve aussi dans les équipes japonaises de SEGA. La série de shoot them up Panzer Dragoon s’inspire également d’Arzack que ce soit au niveau des personnages principaux chevauchant des créatures volantes, de l’architecture ou des costumes.
Une fois la bande dessinée digérée et réinterprétée par les Japonais puis transformée en éléments en 3D, les Japonais demandèrent à Moebius de faire des illustrations dont l’une sert de couverture à la version nippone du jeu.
Cauchemars médiévaux
Si la collaboration avec SEGA fut quelque peu lointaine, Moebius a aussi réalisé la jaquette de Fade to Black (1995), la suite de Flashback, jeu français de Delphine Software, avant de s’occuper de la création des personnages d’un jeu d’aventure Pilgrim : Par le livre et par l’épée (Faith as a weapon, 1997).
Réalisé par les slovènes d’Arxel Tribes et édité par Infogrames, ce jeu s’inspire du roman de Paulo Coelho : Le Pèlerin de Compostelle.
Les concept arts des personnages principaux furent réalisés par le maître et cela se ressent un peu même si la 3D de l’époque ne rend pas vraiment hommage aux crayonnés initiaux.
En dehors de ces croquis, Moebius ne semble pas s’être plus investi dans l’aventure même si son nom figure en bonne place sur la pochette du CDrom.
En réalité, c’est Nicolas Fructus qui s’est occupé de tout le reste : création d’une charte graphique pour les décors et autres personnages, suivi artistique de la modélisation 3D et des animations…
Ce peu d’intérêt peut surprendre mais c’est sans doute lié aux nombreux autres projets qui accaparent Moebius dont un complexe commercial, sorte de mini parc d’attraction urbain en plein cœur de San Francisco.
Le rêve américain
L’idée initiale de Sony semble avoir été de faire un lieu de divertissement familial où montrer sa puissance technologique et les différents contenus culturels que la firme édite : films, jeux, musiques, etc.
Pour cela, ils achètent un bâtiment et confient la création de plusieurs attractions à des personnalités reconnues comme Maurice Sendak (Max et les Maximonstres) et Moebius.
La zone réservée à l’artiste français s’intitule Airtight Garage, nom américain du Garage Hermétique. Moebius déclarait au San Francisco Chronicle du 6 juin 1999 que « Airtight Garage est une expérience totalement folle », une sorte d’ « utopie » pour laquelle il a mis en scène Malvina, exploratrice et scientifique venu d’un monde futur.
Sur les 4 500 m2 d’Airtight Garage, on retrouve tout l’univers de Moebius qui s’est occupé du design du lieu, des cabines de jeux, et qui est venu à plusieurs reprises pour superviser l’avancée des travaux.
De très belles fresques murales contribuent à donner une atmosphère un peu surnaturelle au lieu. On pouvait même acheter des souvenirs estampillés Moebius.
Les visiteurs étaient accueillis par une sculpture géante de Malvina, tenant un écran géant. Trois jeux d’arcade ont été conçus spécifiquement pour le lieu : Hyperbowl, Quaternia et Badlands.
Pour ce dernier, Moebius a même réalisé les croquis des cabines montées sur vérin qui servent de véhicules pour une course dans un champ d’astéroïdes. Les bornes étant toutes connectées en réseau, 28 pilotes pouvaient tester la course dans l’espace.
Hélas, le projet pharaonique de Sony n’a pas fait long feu et le Metreon a vite été remanié. La salle de jeux d’arcade abandonne son nom.
Airtight Garage devient Portal One et remplace les trois créations par des licences d’arcades plus familières pour le public, avant de changer de main et devenir Tilt pour finalement fermer définitivement ses portes en 2007.
Images et imaginaire
En dehors de ces projets, Moebius a également réalisé plusieurs illustrations de commandes pour la promotion de jeux vidéo. Image de couverture pour Flashback, comics pour Halo, illustrations pour Tomb Raider ou Tron (jeu de 2003)…
Même s’il a regardé avec sympathie ce nouveau média, c’est surtout par le biais de la bande dessinée et de ces concept arts pour le cinéma qu’il a contribué à créer un imaginaire où puise tous les créateurs modernes dont ceux du jeu vidéo.
Sans lui, pas de Blade Runner, d’Alien, Star Wars, Tron, Willow, Abyss et bien d’autres films de fantasydéterminant sur l’imaginaire collectif.
Modeste malgré tout, il déclare dans le documentaire Moebius Redux que finalement il sera toujours connu pour quatre histoires : La déviation, Le Bandard fou, Arzach et Le Garage hermétique.
Après, mon temps d’éjaculation était terminé ! Le grand moment qui correspond à un âge de ma vie et à une adéquation avec le milieu socio-culturel, c’est ces quatre histoires et quoi qu’il arrive je fais partie de l’histoire de la bande dessinée maintenant.
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Une réponse sur « Moebius et le jeu vidéo : game over »
Punaise, je ne savais pas qu’il avait (aussi) fair la couv de fade to black. J’ai tellement recopié ce dessin gamin !