En 1984, au Japon, sortent au cinéma deux chef d’oeuvre de l’animation : Macross, Do you remember love ? et Kaze no tani no Nausicaä. Ce dernier est le premier* long métrage de Hayao Miyazaki et c’est déjà un chef d’oeuvre. Ce film adulé par Moebius a été pendant dix années consécutives classé meilleur dessin animé de tous les temps et l’héroïne, Nausicaä reste aujourd’hui encore le meilleur personnage de tous les temps.
Quand Miyazaki termina « Lupin III, le château de Cagliostro« , il se trouvait dans une position fort délicate. Réalisateur déjà relativement connu dans le milieu, en raison de son opiniâtreté à produire des animations de qualité, le futur Maître en avait assez des dessins animés produits au kilomètre et dont la médiocrité n’avait d’égal que leur faible coût.
« Investissez! », tel était déjà son credo et il n’hésitait pas, avec son ami Takahata, à le crier sur tous les toits, ce qui n’était guère du goût de certains producteurs.
C’est à l’occasion de la préparation d’un dossier sur ses réalisations que Miyazaki présenta à l’équipe d’Animage, célèbre magazine japonais, plusieurs séries de dessins constituant pour la plupart des projets de films. Otoga, le rédacteur-en-chef, fut fort enthousiasmé et l’idée d’un projet commun commença à faire son chemin.
En juillet 1981, la société Animage déposa un premier projet de film d’animation devant la conférence de Tokuma. Il s’agissait d’une histoire très proche de celle de Tenkû no shiro Laputa (Laputa, le château dans le ciel) : une forteresse démoniaque flottant dans le ciel et dirigée par des robots.
Ce projet intitulé Sengoku majo fut rejeté. Mais, ne se laissant pas abattre, Miyazaki déposa immédiatement (après) un second projet : Rolf. Celui-ci devait mettre en scène Yara, la reine de la Vallée du Vent, et les vers des sables.
Nouveau rejet, sans doute dû à de trop larges réminiscences de Frank Herbert et du célèbre Dune.
Ceci aurait pu être la fin de cette miraculeuse collaboration si Animage n’avait pas proposé à Miyazaki de réaliser pour leur compte un nouveau manga. Après quelques tractations, il accepta mais y mit trois conditions tout à fait inattendues (et des plus étranges dans le monde du manga).
- En premier lieu, il était stipulé qu’il pourrait mettre fin à cette série dès qu’il aurait trouvé un projet de film sur lequel travailler.
- Ensuite si le manga ne recueillait aucun succès, la direction d’Animage pourrait en arrêter la parution à n’importe quel moment. En retour, Miyazaki ne serait tenu à aucune limitation pour son imagination débordante (!).
- Enfin, ces dessins ne seraient en aucun cas à la base d’un projet de travail d’animation. D’ailleurs, il s’arrangea toujours pour faire de ce manga quelque chose d’intentionnellement difficile à animer. Encore une clause non conventionnelle dans le monde de la BD japonaise, où l’animation d’un manga constitue la consécration d’un dessinateur.
Ainsi Kaze no tani no Nausicaä commença dans les numéros d’Animage. L’aventure de Nausicaä était loin de se terminer là, avec la parution des premières esquisses, car ç’aurait été sans compter sur la forte personnalité de Hayao Miyazaki et ses multiples coups de tête.
Pour exemple, sachez que le numéro de février 1982 (celui qui dévoilait les premiers pas de Nausicaä) venait tout juste d’être bouclé quand Miyazaki appela Animage pour leur annoncer qu’il désirait tout arrêter.
La suite ne se fit pas sans mal, «coups de gueule» et multiples renégociations du contrat furent le lot de ces nombreuses années qui virent le succès grandissant et ininterrompu de ce manga et la création de ce merveilleux film qu’est Kaze no tani no Nausicaä.
L’histoire
“Vêtu d’une robe bleue, il descendra d’un champ d’or pour restaurer une fois encore l’alliance perdu avec la Nature et guider les hommes vers un monde de bonheur et de pureté.”
Telle est la légende qui circule dans ce monde post-apocalyptique où plus personne ne semble croire à ce mythe, même pas l’héroïne.
Il y a mille ans, la folie des hommes “civilisés” avait réduit à néant toute civilisation humaine au cours de la guerre des “Sept Jours de Feu” qui ne laissa derrière elle qu’un monde désolé.
Les conséquences de ce drame guident toujours les actes des rescapés sur cette planète où sévissent déserts, jungle toxique (le Fukai) et une faune aux proportions démesurées qui semble surgie de l’ère préhistorique.
Dans cet univers cauchemardesque demeure une oasis protégée des vapeurs toxiques (miasma) par le vent qui vient de la mer : La Vallée du Vent. C’est dans ce lieu préservé que vit la princesse Nausicaä.
Les premières images du film sont fabuleuses. Une ville fantôme sous une pluie de spores, l’histoire des “Sept Jours de Feu” contée en l’espace d’un générique hallucinant et le vol féerique du planeur de Nausicaä, le Mehve, au-dessus du désert et du Fukai, entraînent déjà le spectateur dans une aventure fantastique qui est loin de s’arrêter aux premières minutes d’animation.
L’histoire débute avec l’arrivée mouvementée de Yupa Miralda poursuivi par un Ômu — littéralement “Seigneur insecte” (ce sont d’immenses insectes gardiens et protecteurs de la forêt toxique).
Ami du roi Jhil de la Vallée du Vent et professeur de Nausicaä, le seigneur Yupa parcourt le monde à la recherche du secret du Fukai et ne trouve la plupart du temps que des villes et des villages en ruines, rongés par la jungle toxique. Arrivé dans la Vallée du vent, Yupa apprend que son ami le roi est très malade empoisonné par les vapeurs nocives de la jungle.
Soudain, dans calme de la nuit, une odeur étrange est portée par le vent… Il s’agit d’un vaisseau tolmèqueattaqué par des insectes. Incapable de redresser le cap, l’appareil s’écrase sur les berges du Lac Acide.
Au milieu des décombres, Nausicaä découvre la princesse Rastel, du royaume de Pejitei, retenue en otage par les Tolmèques. Avant de s’éteindre, celle-ci la supplie de brûler ce vaisseau maudit.
L’intrusion inopinée de cet énorme cargo dans l’espace aérien de la Vallée du Vent n’est pas sans conséquence, car le vaisseau transportait avec lui des spores, qui, en se développant, pourraient empoisonner la vallée.
Plus grave encore, il y avait également à son bord un amas compact et vivant : les restes d’un des géants de l’ancien monde qui dormait dans la cité de Pejitei.
Dès le lendemain matin, la Vallée du Vent est attaquée par les Tolmèques, bien décidés à récupérer le géant de feu qu’ils avaient eu tant de mal à arracher à la principauté de Pejitei.
Avec à leur tête la princesse Kushana et son aide de camp Kurotowa, les envahisseurs mettent à sac le château, assassinent le seigneur Jhil et imposent leur loi aux habitants de la vallée. Invoquant la menace de la destruction du pays par le Fukai, ils exigent par les armes leur collaboration pour “réduire à néant leur ennemi commun” en utilisant l’arme la plus terrible que l’homme ait jamais inventée : le « Dieu-Guerrier » de feu.
Or s’attaquer au Fukai équivaut à un suicide. Alors que les Tolmèques tentent de ramener le géant à la vie, Kushana envisage de repartir pour Pejitei en emmenant avec elle cinq otages, dont Nausicaä.
Pendant ce temps, les habitants de la Vallée du Vent essaient tant bien que mal de mettre au point un plan pour ralentir, si ce n’est arrêter la résurrection du géant.
Allant rendre une dernière visite à Nausicaä, Yupa la découvre dans sa chambre secrète : une vaste serre dans laquelle la jeune fille fait des expériences sur les plantes du Fukai. En cherchant un remède pour son père, elle a découvert que ces plantes ne dégagent de poison que lorsqu’elles prennent racine sur un sol pollué… Le Secret du Fukai.
Le lendemain, les vaisseaux tolmèques font route vers Pejitei quand ils sont tout à coup attaqués par un avion de chasse rebelle de Pejitei. A lui seul, il réduit à néant l’ensemble de la flotte.
Seuls en réchappent Nausicaä, les autres otages et la princesse Kushana que l’inconsciente petite princesse a laissé s’installer auprès d’elle dans le Gunship (vaisseau de guerre biplace) durant la fuite. Les rescapés de l’attaque aérienne sont hélas obligés de faire un atterrissage catastrophe sur un lac du Fukai, réveillant ainsi une colonie d’Ômu.
Censure
Dire que Nausicaä est un film classique serait un pléonasme. Plus qu’un classique c’est une véritable légende. Que ce soit au Japon, aux USA ou en Europe, il est difficile de se dire fan d’animation sans avoir vu Nausicaä, ne serait-ce que sa version américaine tronquée Warriors of the Wind ou dans la version française réalisée à partir de l’américaine La princesse des étoiles.
De même que la création du film ne s’est pas faite sans heurts, la réception de l’oeuvre ne se fit pas sans (de gros) problèmes.
Il faut dire que les versions américaines et françaises sont amputées d’environ une demi-heure. Donc, exit les scènes de visions et le rêve de Nausicaä, la scène de la serre botanique et bien sûr les génériques.
Le nom de l’héroïne est également modifié en Xandra, comme si Nausicaä, prénom tiré de l’Odyssée d’Homère, dérangeait par son manque d’exotisme. S’il ne s’agissait que de quelques passages coupés pour leur trop grande violence…
Mais non ! Ce sont les scènes de méditation, contenant peu d’action mais faisant entrer le spectateur dans la psychologie du personnage, qui disparaissent. Il y a aussi les coupures de-ci-de-là pour réduire les mouvements de quelques secondes.
Évidemment il est plus qu’illusoire d’espérer retrouver une histoire cohérente. Les motivations des personnages changent et les émotions perdent de leur intensité au point qu’il y a comme un décalage, une incohérence… un manque évident de vraisemblance ! En somme c’est du charcutage en règle !
Pureté et écologie
Les versions tronquées réduisent Nausicaä à une simple aventure de SF dans un monde post-apocalyptique, alors que ce film présente une véritable réflexion sur la place de l’homme dans la Nature.
On y retrouve comme dans Conan, les thématiques de l’engrenage fou de la guerre, la pollution qui à l’époque était un grand sujet d’inquiétude (au point d’imaginer la série « live » Spectroman consacrée à la lutte antipollution), la survie de l’espèce humaine et le clivage entre la technologie à la logique bornée et la science des anciens.
Nausicaä dépeint avant toute chose la folie meurtrière des hommes, qui avaient voulu être maîtres et possesseurs de la nature. L’antagonisme ne se situe pas tant au niveau des royaumes qui s’affrontent que sur le plan de la nature et de la culture.
Nausicaä et sa Vallée du vent se situent symboliquement au centre de ce conflit. Nausicaä ne cherche pas à dompter la nature, à détruire le Fukai, mais à connaître son environnement pour mieux s’y adapter, tout comme son planeur s’adapte à la force du vent.
Nausicaä est aussi le personnage le plus altruiste. Elle sauve un bébé Ômu au péril de sa vie et sera balayée par une horde d’Ômu en furie pour essayer de les détourner de la Vallée du Vent.
Le courage et la grandeur d’âme de Nausicaä font d’elle un personnage hors du commun, loin des princesses mièvres pleines de bonnes intentions et des guerrières stéréotypées. Nausicaä restera pour toujours l’héroïne par excellence.
* Certes, on me dira que Miyazaki avait déjà fait le Château de Cagliostro auparavant. Mais Nausicaä est vraiment sa première oeuvre au cinéma dans le sens où il y fait la mise en animation de son manga le plus long et sans doute le plus personnel.
Si vous n’avez pas lu les mangas Nausicaä traduits en français chez Glénat, cet article devrait vous inciter à le faire.