Fondée en 2003, l’association Capital Games comporte aujourd’hui une quarantaine d’adhérents, en majorité des PME basées en Île-de-France. Son président, Patrick Pligersdorffer, ne mâche pas ses mots et donne un état des lieux sans langue de bois sur l’industrie du jeu vidéo et ses difficultés. Une interview politiquement incorrecte sur les aides, la presse, les éditeurs, le financement et les modèles économiques.
Comment est née Capital Games ?
Patrick Pligersdorffer : Le précédent président de l’association, Frédéric Weil, P-DG d’Arkana Productions, a cherché à fédérer les sociétés de jeux vidéo d’Île-de-France afin de créer des économies d’échelle et de favoriser l’embauche. Ici, les loyers sont plus élevés et les logements plus difficiles à trouver. Ça coûte plus cher d’embaucher en région parisienne. Il fallait soutenir une politique d’aides pour former un bassin d’emplois. À l’époque, la plupart des sociétés étaient plus petites que celles de Lyon et elles avaient encore plus besoin d’être soutenues. Nous voulions faire en sorte que la principale zone de développement vidéoludique se déplace de Lyon vers Paris.
Historiquement, beaucoup de studios se sont établis à côté des grands éditeurs existants, c’est-à-dire Infogrames à Lyon ; Ubisoft et Cryo à Paris. On peut aussi évoquer Kalisto, un important développeur en région bordelaise. L’avantage des gens venant d’Infogrames est que cette société travaillait beaucoup avec des boîtes externes, ce qui permettait à ceux qui montaient des studios d’avoir un débouché assuré.
De son côté, Ubisoft possède de gros studios internes et, jusqu’à récemment, n’a pas eu trop besoin de studios externes. Donc, ceux qui avaient monté leur studio en région parisienne devaient un peu se débrouiller tous seuls. Il leur fallait plus de temps pour se développer. Et comme Cryo s’est ensuite éteint, cela a fait un débouché en moins pour les produits vidéoludiques. C’est pour cela qu’il y a une majorité de petites boîtes en région parisienne.
Qu’apporte concrètement l’association à ses membres ?
Patrick Pligersdorffer : Il y a des programmes de R et D mutualisés, ce qui correspond un peu à ce que fait Imaginove à Lyon et surtout à Cap Digital en région parisienne dans le domaine de l’audiovisuel. Nous essayons aussi de créer un groupement d’employeurs afin de mutualiser des ressources humaines qui peuvent passer d’un studio à un autre. Légalement, c’est compliqué. En France, quand on est salarié d’une société, on ne peut pas passer temporairement dans une autre entreprise. Si on crée un pool de personnes non affectées à un studio mais qui agissent comme des électrons libres selon leurs besoins, il faut établir une structure annexe et trouver des moyens de la financer. Or, louer la main-d’œuvre à d’autres, en soi, c’est aussi un métier ! Donc il y a pas mal de barrières légales, sans parler des complications financières. Il faut pouvoir payer les gens si aucun studio n’en veut à un instant T.
N’est-il pas envisageable d’avoir un statut d’intermittent du jeu vidéo, comme c’est le cas dans le monde du spectacle ?
Patrick Pligersdorffer : On le peut, mais il n’y a pas de cadre légal pour cela. Certaines sociétés emploient des intermittents du spectacle, mais quand ils doivent le justifier auprès de l’URSAFF, ça fait mal. Ensuite, tout dépend de la convention collective utilisée. En fait, il n’y a pas de vrai statut pour une société de jeu vidéo. Certaines se rapprochent des entreprises de production de films et peuvent employer des intermittents. Ils ont alors d’autres problèmes de gestion des droits, etc. Dans notre cas, nous avons la convention collective des sociétés de création de logiciels, donc nous ne pouvons pas embaucher des intermittents. Il y a des profils tellement disparates que c’est un imbroglio administratif.
Dans le paysage juridique français, le jeu vidéo est un no man’s land : ça n’intéresse personne. On se fait tirer dessus à boulets rouges à chaque Noël comme l’an dernier avec Nadine Morano. Dès qu’ils le peuvent, les politiques nous descendent car nous sommes soi-disant mauvais pour la jeunesse. On nous accuse de créer de l’addiction, de la violence… Le sexe ? On n’en parle pas car, de toute façon, on n’a pas le droit de le représenter.
À quoi est due cette mauvaise image ?
Patrick Pligersdorffer : C’est un loisir jeune et il n’y a pas de politiques très haut placés qui sont des joueurs. Donc, ils n’en ont rien à faire ou presque. Certains s’y intéressent, mais l’opposition est telle que ça ne les dérange pas si on se fait tirer dessus. Pour beaucoup, le jeu vidéo est un truc de gamins.
En réalité, c’est la même chose à chaque époque avec un nouveau média. Dans les années 1950, le rock était la musique du diable tandis que, aujourd’hui, il est entré dans les mœurs. Il faudrait arrêter de diaboliser le jeu. En attendant, les entreprises font le dos rond et essaient de faire avancer les choses un peu plus vite. Mais il faut régulièrement rappeler que nous ne sommes pas plus nuisibles que le cinéma ou la musique et expliquer qu’on devrait nous laisser passer les choses que l’on permet à ces industries.
Que pensez-vous des critiques des gamers au sujet du jeu vidéo français au sein même du pays ?
Patrick Pligersdorffer : Critiquer ce qui se fait en France, c’est classique. D’ailleurs, au cinéma, en dehors des connaisseurs, la production française est mal considérée par le public. Le jeu vidéo français est mal perçu chez nous. D’un autre côté, le marché français est minuscule par rapport au reste du monde… En outre, nous n’avons pas les mêmes financements que des studios américains, anglais ou japonais. Il y a aussi plein de gens qui portent aux nues le jeu vidéo japonais, mais 99 % d’entre eux ne sont jamais allés au Japon. J’ai travaillé un an là-bas et je sais comment ça se passe. Il y a une raison pour laquelle 90 % des jeux japonais ne voient pas le jour à l’étranger : ils ne sont pas terribles et collent à un public bien trop spécifique.
Une société de jeu vidéo n’est pas là pour plaire à tout le monde. Il vaut mieux faire un truc de niche qui tourne plutôt qu’un flop commercial qui tue la boîte, en voulant faire trop gros sans en avoir les moyens. Pour une fois, un grand éditeur a investi dans un studio français : Quantic Dream. J’espère que ça va fonctionner et ça prouvera que les Français peuvent faire des jeux géniaux si on leur en donne les moyens. Jusqu’à présent, aucun studio français n’avait eu de budget de développement similaire à ceux qui produisent les blockbusters américains. Il ne faut pas s’étonner ensuite…
Quelles sont vos obligations par rapport aux aides attribuées par la région, la ville de Paris et les autres soutiens institutionnels ?
Patrick Pligersdorffer : Les différents organismes publics demandent beaucoup de rapports sur les résultats, le nombre de sociétés prospectées, le nombre de contrats, etc. Nous aimerions bien avoir une équipe dédiée pour s’occuper de cet aspect administratif. Malheureusement, nous n’en avons pas les moyens. Les sociétés remplissent les fiches et nous les aménageons pour que cela corresponde au format qu’attendent les administrations. Cap Digital aide aux financements et bénéficie de plus de moyens humains. Elle peut donc traiter plus de dossiers. Capital Games a un rôle d’administrateur au sein de Cap Digital. Nous donnons un avis sur tous les dossiers liés au jeu vidéo. Disons que nous avons un rôle de lobbying.
L’État semble vouloir aider le jeu vidéo par le biais d’appels à projet qu’il finance. Qu’en pensez-vous ?
Patrick Pligersdorffer : L’État décide des appels à projet et des crédits d’impôts. C’est une bonne initiative mais les critères sont tels que cela restreint la création. Il faut que les projets rentrent dans des cases. Celle que je trouve très limitative concerne l’âge et la classification PEGI : on ne peut pas avoir de jeux catalogués « 18+ ». Au cinéma, cette catégorie correspond à un film porno. Dans le jeu, dès que c’est un poil trop violent, c’est du « 18+ ». En clair, si le Soldat Ryan était un jeu, il serait en « 18+ ». Je regrette que les critères de classification soient différents dans le jeu et au cinéma.
L’association développe-t-elle une politique cross média ?
Patrick Pligersdorffer : Historiquement et en ce moment, il est déjà difficile de faire du jeu vidéo tout court ! Le cross média est compliqué à gérer et la démarche devrait plutôt venir de ceux qui sont établis et qui ont les moyens de le faire. En réalité, le cross média se fait couramment dans tous les pays sauf la France. Mis à part Ubisoft, il n’y a pas vraiment de société de jeu capable de faire son dessin animé et du cinéma.
Il y a un certain temps, MK2 avait monté un studio : MKO Games. Pourquoi une société comme Europa Corp n’a-t-elle pas de studio de jeux vidéo ? Les boîtes audiovisuelles accèdent plus facilement à des financements. Il faut savoir qu’à part quatre ou cinq sociétés, les banques refusent de prêter aux studios de jeux vidéo. Les investisseurs sont également frileux. Certes, ça change. Mais en France, nous sommes trop petits pour les intéresser. De même, les très gros éditeurs ne veulent pas travailler avec les studios français car, à quelques exceptions près, les studios sont trop petits.
Et pourquoi les studios français sont-ils trop petits ? Parce que nous avons tellement de charges que c’est difficile d’embaucher. Attention, je ne dis pas que les boîtes de jeu ont plus de charges que les autres. Mais notre industrie a besoin de beaucoup de main-d’œuvre. Donc on ne peut pas se permettre de payer énormément de charges sociales quand on a un paquet de mecs qui risquent de ne rien faire pendant cinq mois, le temps de créer un prototype de jeu. C’est aux industries qui ont de l’argent ou qui peuvent plus facilement en lever d’aller vers le jeu vidéo !
Pourquoi est-ce si important de mutualiser la R et D ?
Patrick Pligersdorffer : Dans le milieu, chacun a tendance à vouloir réinventer la roue, ce qui est contre-productif. Nous poussons les sociétés à s’unir sur des projets communs afin de bénéficier des subventions et de les rendre plus compétitives. Nous avons des charges sociales énormes par rapport à nos concurrents dans les autres pays. Il s’agit donc de rééquilibrer les coûts par le biais de la R et D. Concrètement, des entreprises s’allient et travaillent avec un laboratoire afin de développer des moteurs ou des outils qui seront employés dans des jeux d’entreprises différentes.
Au niveau de la région, un premier programme a permis de développer des outils de développement pour la DS, un moteur d’animation, un moteur multijoueur et un multiplate-forme. Nous allons aussi faire des efforts pour communiquer auprès des nouveaux membres et les impliquer plus, notamment au niveau de la R et D. Il s’agit aussi de faire de vrais appels d’offres et non plus de demander la collaboration de tel ou tel studio car ce sont des amis ou des voisins.
Que faites-vous concrètement pour aider l’export ?
Patrick Pligersdorffer : Il y a eu diverses choses. Au début, nous avons aidé les boîtes à avoir leur stand sur des salons internationaux et faire de la représentation à l’étranger. Actuellement, la tendance est à la mutualisation d’un espace divisé entre sociétés. Nous organisons des missions ciblées avec une dizaine d’entreprises à chaque fois pour rencontrer des partenaires potentiels.
Les entreprises ont-elles suffisamment de commerciaux pour vendre leur production ?
Patrick Pligersdorffer : Cela dépend des sociétés et ça fait partie des choses que nous aimerions mutualiser, mais qui sont compliquées à mettre en place. Pour une petite structure, avoir un commercial super compétent dans ce domaine coûte cher et il est difficile de lui trouver du travail pour couvrir un temps plein. Dans les boîtes qui n’ont qu’un projet, une fois celui-ci vendu, il y n’a plus besoin de commercial pendant une année ou un an et demi.
Dans certaines boîtes comme Neko, il y a de bons commerciaux car ils ont plein de petits projets qu’ils vendent en permanence. Lorsqu’ils récupèrent les projets qu’ils ne peuvent pas gérer en interne, ils sous-traitent chez des studios de Capital Games en qui ils ont confiance. Mais, généralement, le commercial est le patron ou l’un des fondateurs du studio.
Il me semble que les créateurs de studios sont rarement des commerciaux.
Patrick Pligersdorffer : Ce sont souvent d’anciens game designer. On ne fait pas ce métier pour l’argent mais pour faire ce dont on a envie. Ensuite, on ne vend pas de la lessive non plus ! Il y a la passion à véhiculer. C’est sûr que ce n’est pas facile et que les Français sont sans doute faibles à ce niveau-là. Mais il est difficile d’être un bon commercial dans le jeu vidéo, car c’est à la fois très subjectif et complexe. À moins d’être une société qui ne fait que des projets en sous-traitance pour des éditeurs (là, on vend les compétences d’un studio et non un jeu), c’est dur de vendre un projet.
Une fois le titre vendu à un éditeur, êtes-vous plus tranquilles ?
Patrick Pligersdorffer : Pas vraiment. Il faut produire les assets que l’éditeur nous demande, répondre aux journalistes, créer des versions spéciales, des démos, changer les angles de caméra pour tel ou tel screenshot. Il faut être là pour faire la promo sur les salons… Il y a encore plein de boulot. En général, les journalistes veulent parler du jeu. Donc, il faut que ce soit des gens qui le connaissent bien qui en parlent. Et à part les développeurs, personne ne peut mieux le faire. Parfois, il y a un chef de produit qui connaît vraiment le titre sur le bout de doigts, car il en est fan. Mais c’est rare.
Et que pensez-vous des journalistes ?
Patrick Pligersdorffer : Je peux mettre un joker ? Disons qu’il y a un manque de professionnalisme de la part des journalistes spécialisés dans le jeu vidéo. Ils sont incapables de juger certains titres car ils ont souvent un regard de passionné et non de pro.
Pour critiquer un jeu, il faut déterminer quelle en est la cible et tenter de savoir si le public visé sera satisfait. Il faudrait que les publications fassent l’effort d’avoir des spécialistes dans tous les genres. Il n’est pas normal qu’Alexandra Ledermann se prenne de mauvaises notes alors que, tous les ans, les joueuses en sont satisfaites.
Finalement, lire une critique ne sert pas à grand-chose : soit c’est le communiqué de presse réécrit, soit on sent que le testeur a passé une heure à jouer grand maximum, soit il n’était pas intéressé et juge mal.
Est-ce mieux dans la presse généraliste ?
Patrick Pligersdorffer : La plupart n’en ont rien à faire. Quand ils parlent d’un jeu spécifique ça ressemble plus à un communiqué de presse qu’à autre chose, sauf quand le mec est vraiment passionné. Ensuite, ils ne parlent d’un jeu que si ça va aider à vendre. Soit ils sont un peu démagos, soit ils tirent dessus, mais ils ne font que ce qui arrangent les ventes. Ça ne va pas chercher plus loin.
Que pensez-vous des sites d’actualité sur les jeux vidéo ?
Patrick Pligersdorffer : Il y a un large spectre de sites. Si on propose un jeu PC hardcore gamer, on sait que les sites orientés « console » vont attribuer une mauvaise note car le jeu est trop compliqué pour eux. Mais ils ne comprennent pas que ce n’est pas la même cible. Les développeurs font des choix. Ils peuvent se tromper, mais ils font ces choix en fonction d’une cible et le testeur n’est pas nécessairement dans la cible. De toute façon, ce n’est pas une bonne note qui aide à vendre. Si les journalistes spé étaient de tels dieux pour juger un jeu, ils feraient des game designers exceptionnels. En l’occurrence, c’est rarement le cas. Chacun son métier.
Pour en revenir au financement, qu’apporte Capital Games aux studios ?
Patrick Pligersdorffer : Nous participons activement au salon du financement avec des banquiers d’affaires qui sont là pour juger des dossiers. Je pense qu’il faut éduquer les investisseurs potentiels, leur expliquer qu’il vaut mieux financer des projets et non des boîtes comme c’est le cas actuellement.
Investir dans un studio est risqué et plus long alors qu’investir dans un projet peut rapporter plus et à plus court terme. Il est important d’investir intelligemment dans le jeu vidéo.
Il faut aussi éduquer les studios pour qu’ils arrêtent de croire que les financiers sont là pour faire des chèques en blanc. Ils doivent comprendre qu’ils ont des comptes à rendre et que le jeu doit être rentable à terme. Nous devons expliquer les risques et les bénéfices de chacun. Nous organisons par exemple des ateliers pour apprendre à monter un business plan, à parler à un investisseur et comprendre ce qu’il attend.
De nombreux jeunes studios pensent que les investisseurs sont là parce qu’ils ont une idée géniale et qu’elle va marcher. En fait, le financier se moque du concept de jeu. Ce qu’il veut savoir, c’est combien ça va rapporter ! Il faut donc être capable de chiffrer les choses et de s’y tenir. Il faut arriver avec des données que l’on peut comparer avec ce qui existe et par rapport à la taille du marché visé.
Ce n’est pas le tout d’arriver et de dire : « Voilà, le marché du jeu vidéo, c’est tant de milliards dans le monde et moi je demande ça, ce qui n’est pas beaucoup alors que mon idée est géniale et que ça va cartonner. » Des propositions comme celle-là, un petit éditeur en reçoit vingt par semaine !
Mais pourquoi des studios se montent-ils sans aucun business plan ?
Patrick Pligersdorffer : Tout simplement parce que le jeu vidéo est un monde de passionnés. Nous voulons tous faire le jeu qui nous fait rêver. On s’est tous dit : « J’adore ce jeu, mais je peux faire mieux ! » Quand je suis entré chez Ubisoft, je savais déjà qu’à terme je monterais ma boîte, que je ferais un jeu de cyclisme et je pensais que c’était une bonne idée.
On crée rarement un studio de jeu vidéo pour l’appât du gain. On fait ça par passion. Le problème c’est que la passion n’est pas une chose super structurante. Avec le temps, ça s’organise. Mais dans le cas d’une petite boîte de quinze mecs, ça n’a pas besoin d’être structuré outre mesure ! Et c’est aussi comme ça qu’il y a de la créativité.
Je suis persuadé qu’une entreprise de cent types est moins créative. Je suppose qu’il y a des processus pour filtrer la créativité et la laisser ressortir au bon moment dans les grosses sociétés. Mais c’est rare. Dans une boîte de quinze personnes, tout le monde se parle, échange des idées et rebondit dessus. Tout le monde est impliqué et fait en sorte que le jeu soit le meilleur possible. Il y a certes des sacrifices et des compromis, mais tout le monde participe. Pour changer un élément, nous n’avons pas besoin de faire signer trois papiers par une dizaine de responsables.
Comment être sûr de faire un jeu rentable afin d’assurer la survie d’un studio ?
Patrick Pligersdorffer : Il n’y a pas de recette. Il faut savoir à qui on s’adresse et ne pas faire trop gros. Puis, il faut comprendre que ce ne sont pas les journalistes qui font les ventes. Ils en ont l’impression, mais leur impact est mineur. Ensuite, ça dépend du genre. Disons que le bouche à oreille est plus important. Il vaut mieux être apprécié par une bonne communauté de joueurs que par un journaliste qui dit : « C’est génial ».
Il y a toujours plein de gueulards sur les forums, plein de journalistes qui ne vont pas aimer le jeu. Tant que c’est sur des critères objectifs, ça va. Dans le cas de Cyanide, nous nous sommes déjà tapé des notes ridicules ! Mais tant que ça plait à la communauté, je n’en ai rien à faire !
Dans le cas du premier Cycling, nous nous sommes fait descendre par tout le monde. Nous avons eu droit à des 1/10. Mais nous n’avons jamais eu peur, parce nous voyions la réaction des joueurs et, eux, ils étaient contents. Ce n’était pas le jeu de leur rêve et nous l’avons fait avec les moyens que nous avions à l’époque. Mais nous avions la base pour construire ensuite un jeu performant.
La force d’un bon éditeur est de toucher sa cible, de transmettre aux bonnes personnes les bonnes infos, et c’est notamment le travail du nôtre : Focus Home Interactive. Il a une action ciblée et ne va pas faire une campagne de pub télévisée pour toucher un max de monde. Il va toucher les gens que le jeu peut intéresser et, à l’échelle des studios français, c’est la meilleure méthode à adopter. Il faut savoir s’adapter à son marché, taper le cœur de cible et s’étendre ensuite.
Dans ce cas, que pensez-vous de Playfish qui se passe de distributeur en diffusant son jeu sur les réseaux sociaux ?
Patrick Pligersdorffer : Ça marche quand ton jeu ne coûte pas trop cher à développer. S’il a coûté plusieurs millions, sauf cas exceptionnel, le studio ne rentrera jamais dans ses frais. C’est sympa pour les joueurs, mais ce n’est pas un modèle économique qui permet à des gens de vivre et le but d’une boîte est quand même de conserver l’emploi de ses salariés. Ça peut marcher, mais la plupart du temps, ça va se planter. Je ne parle pas de Playfish, je parle des jeux qui sont développés pour eux. C’est bien pour l’élément qui agrège. C’est moins bien pour le développeur.
Et les sites de jeux Flash gratuits ?
Patrick Pligersdorffer : C’est la même chose. Sur la masse de jeux qu’ils proposent, ils en auront trois ou quatre qui vont bien marcher, mais pour cela, il y en aura dix fois plus qui vont se planter avec des développeurs qui perdront de l’argent. Nous, nous sommes là pour défendre les développeurs, et ce type de modèle ne m’enthousiasme pas plus que cela. De la même façon, je déplore les éditeurs qui investissent dans cinq blockbusters en pensant qu’il y en aura un qui cartonnera. C’est sympa pour le développeur du jeu qui cartonne, mais que deviennent les quatre autres ? Ils ferment. Ce n’est pas donc pas un modèle juste.
Quel serait le bon modèle économique pour un développeur ?
Patrick Pligersdorffer : Pour commencer, c’est un modèle où le développeur ne se fait pas prendre toute sa marge par l’éditeur. Il y a des éditeurs qui ne prennent pas tout. Mais la plupart garde pour eux la valeur créée par les développeurs sous prétexte qu’ils prennent un risque financier. Il est normal qu’ils se rémunèrent mais je trouve le rapport injuste. Il faut que la relation soit gagnant/gagnant. Actuellement, si le jeu marche, l’éditeur gagne beaucoup, le développeur pas plus que cela. Si le jeu ne marche pas, l’éditeur ne perd pas grand-chose, mais le développeur n’a plus de contrats et perd tout. Le rapport de force n’est pas équilibré.
Les plates-formes dématérialisées ne permettent-elles pas de changer cette relation ?
Patrick Pligersdorffer : Sur le XBLA, mis à part les community games, il faut avoir un éditeur ou être éditeur soi-même et pour cela, il faut au moins trois jeux. Il est donc difficile d’entrer sur le XBLA quand on est totalement indépendant.
Il y a aussi des barrières à l’entrée pour ne pas saturer le marché. Ça ne sert à rien d’être noyé dans trois mille jeux. Dans ces cas-là, il n’y en a aucun qui se détache. C’est ce qui s’est passé avec la DS récemment. Sur le PSN, il y a un concept approval au départ qui est limitatif, mais comme le parc installé n’est pas encore énorme, ça n’intéresse pas plus de monde que cela.
Parallèlement, le niveau de qualité augmente tellement qu’on est en train d’exclure le jeu indépendant. Bien sûr, on cite toujours une exception qui confirme la règle. Mais pour un Geometry Wars qui s’est vendu à des millions d’exemplaires, combien y a-t-il de jeux qui ne se sont pas vendus ?
Et la vente directe sur les plates-formes dématérialisées comme Steam ?
Patrick Pligersdorffer : Dans ce cas, il faut être capable de faire son propre marketing. Faire un bon jeu ne suffit pas, il faut ensuite communiquer dessus, faire en sorte que les gens l’achètent. Et ça, c’est le rôle d’un éditeur. De plus, si l’on veut se passer d’éditeur, cela veut dire que l’on est capable d’autofinancer un jeu. Or peu de développeurs en sont capables. La dématérialisation permet de diminuer les intervenants en faisant disparaître les détaillants. La marge est supérieure et les studios gagneraient plus d’argent s’ils se structuraient et qu’ils étaient capables de financer leur production. Capital Games essaye de pousser le volet financement pour changer la donne. Si nous y parvenons, il y aura alors des studios qui arriveront vraiment à émerger, des vrais indépendants. Mais ce n’est pas gagné.
Article initialement publié dans IG Magazine.