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Ghost in the Shell : héritage du film de Mamoru Oshii

Il y a 25 ans, le manga Ghost in the Shell de Masamune Shirow paraissait au Japon et révolutionnait le genre de la science-fiction. Mais c’est par l’adaptation en long-métrage que l’œuvre connaîtra un plus large succès.

D’ailleurs c’est pour fêter ce vingt-cinquième anniversaire que le Ghost in the Shell de Mamoru Oshii est diffusé dans les cinémas londoniens à partir du 27 septembre 2014. C’est aussi l’occasion de voir quel est l’héritage laissé par ce Ghost in the Shell en version animée.

Pour comprendre l’importance de Ghost in the Shell dans l’histoire de l’animation japonaise et sa réception dans le monde, il faut se replonger en 1995.

Le mot manga n’était pas entré dans le dictionnaire et en lire vous cataloguait inévitablement dans le camp des loosers limite pervers.

Regarder des dessins animés japonais vous classait aussi dans la catégorie des dégénérés refusant de grandir. Pour le grand public, le film d’animation c’est Disney et c’est tout.

Des mangas qui bougent ?!

Malgré tout, les choses commençaient à bouger un peu. Trois ans après sa diffusion au Japon, Akira de Katsuhiro Otomo sortait sur grand écran en Europe et dans quelques cinémas en France en 1991.

C’était la première grosse claque venue du Japon pour bien des gens. Le film est superbement animé, l’intrigue est complexe (surtout quand on n’a pas lu le manga auparavant), la musique inoubliable.

Néanmoins, la presse grand public passe sous silence la sortie de cette perle.

Le film n’a eu qu’une diffusion limitée et il faudra même attendre assez longtemps avant d’avoir le DVD (avril 2007) et la version Blu-ray (2011).

Toutefois, c’est grâce à ce premier succès auprès d’un public fan de science-fiction et de manga, que les distributeurs étrangers décident de sortir un autre film de SF simultanément au Japon et dans le reste du monde.

Ils participent d’ailleurs financièrement à la production du Ghost in the Shell de Mamoru Oshii.

Le producteur exécutif, Andy Frain, expliquait au The Guardian qu’il voulait que le film soit un mélange entre l’Orient et l’Occident : une narration occidentale avec des graphismes japonais et une musique sublime.

Il avait même essayé d’embaucher le groupe Massive Attack pour la bande originale.

L’importance de la musique est sans doute liée au fait qu’Andy Frain est le PDG de Manga Distribution, filiale de l’éditeur de musique Island Records (ensuite racheté par PolyGram qui a été racheté par Universal Music)…


Pendant ce temps en France, Porco Rosso sort en 1995 dans un relatif mépris de la part de la presse généraliste et le Tombeau des Lucioles est projeté dans deux salles parisiennes d’art et d’essai en 1996. 

The Ghost in the Shell ne sort qu’en 1997 et ne parvient pas à dépasser 120 000 entrées en France (dont 40 000 à Paris).

Malgré tout, les critiques grand public sont un peu plus positives comme en témoigne celle de Télérama :

« Difficile d’en dire plus sur un scénario assez obscur (c’est le point faible du film). Mais on peut se laisser envoûter par la beauté étrange de ce film onirique, qui évoque l’univers d’un Blade Runner de l’ère Internet, et affiche une indiscutable ambition dans la recherche graphique. »

(Bon, personnellement, à l’époque j’avais hurlé. Comment peut-on consacrer une fiche critique aussi petite pour un film aussi grand ?! Et puis, « scénario obscur »… Il n’a jamais lu aucun livre de science-fiction ? Parce qu’on peut qualifier Ubik de Philip K. Dick d’ « obscur » mais pas le film de Mamoru Oshii)

En réalité, le distributeur de Ghost in the Shell ne cherchait pas tant à faire du long métrage un succès commercial au cinéma qu’à profiter de l’exposition médiatique lié au film pour accroître les ventes de cassettes VHS (non, le DVD n’existait pas à l’époque).

En 1995, il n’y avait que trois distributeurs vidéo : Kazé, AK distribution et Manga Distribution.

Et le succès est au rendez-vous pour la VHS de Ghost in the Shell qui se place parmi les meilleures ventes en Angleterre et aux USA, suscitant soudain l’appétit de plus grands groupes.

Pour l’histoire de la commercialisation de l’animation japonaise en Occident, Ghost in the Shell est donc une pierre d’angle.

Coproduit avec un distributeur anglais, le film fait le tour du monde en remportant des critiques positives et en pulvérisant les records de l’époque au niveau des ventes de vidéo.

Tout ceci est bien beau, me direz-vous, mais qu’en est-il du film lui-même ?

Qu’est-ce qu’un être vivant ?

En confiant les commandes du film à Production I.G et Mamoru Oshii, les producteurs savaient parfaitement ce qu’ils faisaient.

Le réalisateur est à la fois connu pour sa série de mecha Patlabor se déroulant dans un Japon d’anticipation et pour ses adaptations pas toujours très fidèles mais toujours très inspirées comme le deuxième film de Urusei Yatsura (Lamu en français).

Il avait réalisé le très beau Tenshi no Tamago (L’œuf de l’ange, 1985) avec Yoshitaka Amano à la direction artistique.

Mais surtout, c’est un passionné de cinéma européen ce qui ne peut que plaire à Andy Frain et correspondre à son idée de mélange entre Orient et Occident.

Oshii ne s’embarrasse pas vraiment de l’univers de Masamune Shirow (qui ne participe pas à la production) et se focalise avant tout sur le personnage du major Motoko Kusanagi.

Il avait d’ailleurs expliqué à Kenji Kamiyama (réalisateur des séries télévisées GITS) qu’il ne comprenait pas ce personnage et que c’est pour cela qu’il l’a étudié dans son film.

(À partir d’ici, il y a BEAUCOUP de spoiler. Rendez-vous à l’intertitre suivant si vous n’avez pas vu le Ghost in the Shell de Mamoru Oshii.)

Dans la version d’Oshii, le major n’est pas décrite comme la badass à la tête d’une brigade d’intervention musclée.

Certes, il y a deux scènes d’action mémorables où elle neutralise l’adversaire très efficacement.

La première correspond à la séquence d’ouverture du film : elle contemple la ville du haut d’un building avant de se déshabiller et faire le saut de l’ange.

Au passage, son corps est devenu invisible grâce à un camouflage optique et elle tire sur sa cible quelques étages plus bas, tout en continuant sa chute.

La seconde est celle où, toujours invisible, elle maîtrise au corps à corps un hacker.

Mais Kusanagi est avant tout une cyborg qui se pose beaucoup de question sur son identité. Elle a un corps artificiel depuis son enfance et doute parfois de la réalité de ses souvenirs.

Comme la cybernétisation du cerveau rend le piratage de la mémoire possible elle s’interroge sur ce qui fait son caractère unique, ce qui la distingue finalement d’un simple robot.

Trois séquences sans parole témoignent de ces questions de manière presque poétique.

Dans le générique, un corps de cyborg est assemblé sous nos yeux. Comme un produit à la chaine, il passe d’étape en étape jusqu’à l’implantation du « ghost », la conscience d’un individu réel.

Ce générique s’achève par le réveil de Kusanagi dans son appartement.

Dans une autre séquence sans parole, le major en combinaison de plongée remonte à la surface de l’eau en fusionnant/brisant son reflet.

L’image fait écho à celle du générique où le cyborg est plongé dans une eau où se forme sa peau artificielle.

Enfin, une longue balade dans la ville toujours sans parole mais en musique nous montre que Kusanagi n’est visiblement pas la seule à avoir le même corps cybernétique.

Si l’apparence est identique (puisque fabriquée à la chaîne) qu’est-ce qui distingue un corps d’un autre ?

La séquence s’achève avec des mannequins sans vêtement dans une boutique de mode au moment de la fermeture. L’image suggère là encore que l’identité doit être cherchée en dehors du corps.

Si avec tout cela, vous n’aviez pas compris le cœur du film (qui n’est donc ni la vie de la section 9, ni l’affaire du Marionnettiste), deux longs dialogues renchérissent sur cette question de l’identité.

Sur un bateau, Kusanagi discute avec Batou de ses doutes et son corps cybernétique appartenant à l’armée.

L’entretien se termine par une voix qui n’est pas celle de Kusanagi.

L’autre dialogue est bien sûr celui qu’elle a avec le Marionnettiste avant de fusionner avec lui. Il est une entité ayant pris conscience d’elle-même et se considère comme vivante.

Pour cela, il a décidé d’assumer tout ce qui détermine un être vivant dont la reproduction et la mort. C’est pourquoi il s’est incarné dans un cyborg produit dans la même usine que le corps de Kusanagi et pourquoi il lui demande de fusionner afin de créer un élément nouveau et vivant.

À la fin de Ghost in the Shell, le produit de cette union est transféré dans le corps d’une petite fille.

Dans la lignée de Blade Runner, le Ghost in the Shell de Mamoru Oshii essaie donc de tracer la frontière entre le vivant et l’inerte tout en montrant l’importance des souvenirs, éléments permettant d’avoir une image des autres et une conscience de soi.

Nous sommes assez loin des affaires de la section 9 même si le manga de Shirow s’achève également par un long dialogue avec le Marionnettiste dans des planches truffées de notes de bas de page.

Échos hollywoodiens

Le film de Mamoru Oshii a été bien reçu en partie car il est l’adaptation du manga de Masamune Shirow, auteur bien connu par les Américains.

Sa série Appleseed (parue en 1985 au Japon) s’était fait remarquer par un éditeur de San Francisco (Studio Proteus) qui publie l’intégralité des volumes en anglais chez Eclipse Comics entre 1988 et 1992.

Le succès est immédiat auprès du public américain qui découvre alors le manga. Il faudra attendre bien des années pour que la France bénéficie à son tour d’une traduction (1996, soit près dix ans plus tard).

Pendant ce temps, le manga de Shirow est lu et assimilé par toute une génération d’artistes fascinés par l’héroïne testostéronée qu’est Deunan Knut.

Les exosquelettes permettant aux militaires et aux terroristes de s’affronter dans des scènes d’action haletantes font également leur entrée dans l’imaginaire collectif.

Il faut dire que ce manga est pile dans la tendance du moment : en 1986, James Cameron sort Aliens avec une héroïne qui n’a pas peur des armes et qui combat la reine des extraterrestres dans une machine-robot géante dans la scène finale.

Pas étonnant que le réalisateur, soit fan de Shirow et fasse ensuite la promotion du film Ghost in the Shell.

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