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1001 façons de tuer dans Détective Conan

Comment réussir à faire un bon manga à succès qui dure plus de 98 volumes ? En ayant des personnages charismatiques et des situations simples que l’on peut varier à l’infini. Voici quelques exemples de combinaisons gagnantes dans Détective Conan de Gosho Aoyama.

Passionné par les romans policiers à énigme comme les Sherlock Holmes et les Arsène Lupin, il semble que Gosho Aoyama veut suivre les traces d’Agatha Christie, romancière de langue anglaise la plus lue après Shakespeare. Après plus de 98 volumes pages de manga, Conan traque toujours les criminels !

Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire, rappelons le début du manga. Shinichi Kudo est un lycéen surdoué qui est capable de résoudre toutes les affaires de meurtre. Mais un jour, il a affaire avec la mystérieuse organisation des hommes en noir. On lui fait ingérer un poison et on le laisse pour mort.

Mais il est toujours vivant : son corps a rétréci et il a désormais l’apparence d’un enfant. Pour essayer de retrouver ses agresseurs, il habite chez son amie Ran et son père, le détective privé Mouri. Il prétend être le neveu du professeur Agasha (un voisin mis dans la confidence) et il se fait appeler Conan Edogawa.

Cette fausse identité est composée du prénom de l’auteur de Sherlock Holmes et de celui qui a écrit le premier roman policier (Edgar Poe, « Edogawa » dans la prononciation japonaise). Aidé par les gadgets du professeur, Conan résout de multiples énigmes à la place de l’incompétent Mouri, qu’il endort et dont il emprunte la voix.

Compétition de logique

À chaque nouvel épisode c’est le même rituel ou presque. Un meurtre est accompli et après une enquête plus ou moins risquée, tous les personnages sont réunis pour la révélation du coupable. Le moment le plus énervant, c’est lorsque Conan se dit quelque chose comme « ça y est, j’ai compris » et que nous, lecteurs, nous sommes toujours dans les choux.

Le plaisir de la lecture vient de l’identification avec l’enquêteur et de la rivalité qui est en même temps mise en place. Qui du lecteur ou du personnage trouvera la solution le plus vite ?

Jeu de réflexion basé sur la logique, Détective Conan multiplie des obstacles tout au long des épisodes : prolifération des suspects, succession de meurtres, menaces contre les proches du héros et pièges logiques sont là pour pimenter les chapitres.

Parmi les indices permettant de confondre le coupable, on trouve les choses les plus saugrenues et les plus ténues : un stylo qui ne marche pas, une marque de bronzage ou le nom du meilleur score sur une gameboy.

Parfois, le mort laisse des indices aux enquêteurs sous forme d’énigme : paroles mystérieuses, disposition d’un jeu de stratégie ou de tiroir d’une commode, pictogrammes…

Toutefois, après la lecture de plusieurs volumes, on devient un lecteur averti, prêt à reconnaître les schémas narratifs de l’auteur. Le second plaisir vient alors de la plus ou moins grande habilité d’Aoyama à nous mener en bateau. 

L’une des situations qui revient le plus souvent est la réunion de nombreux personnages lors d’un défi ou d’une sorte de chasse au trésor.

Comme dans Dix petits nègres d’Agatha Christie, les gens meurent les uns après les autres et l’étau se resserre sur ceux qui restent vivants. En général, l’un des personnages a maquillé son meurtre pour agir tranquillement sans éveiller les soupçons.

Autre situation convenue, le meurtre en chambre close est un grand classique revisité à plusieurs reprises dans Détective Conan. Il s’agit d’un paradoxe logique. Il faut alors trouver comment l’assassin a refermé les lieux après son meurtre pour faire croire que jamais personne n’est entré dans la pièce. Pour cela, on doit être attentif à toues les traces de scotch, de sparadrap, ou de fil. Trouvez ces indices et vous trouverez le coupable.

Dans le même ordre d’idée, il y a le coup de l’alibi parfait. Dès le début on sait à peu près qui est le coupable mais son alibi est solide. Conan doit alors trouver la faille logique qui a permis au meurtrier d’être à deux endroits à la fois. Et c’est dans ces moments-là que les sosies, les appareils de communication et la configuration particulière des lieux prennent tout leur intérêt.

Créer du suspens

Mais ces jeux logiques ne suffisent pas pour maintenir éveiller l’attention du lecteur. Il faut créer du suspens en mettant en danger la vie des protagonistes. Parmi les personnages les plus souvent pris pour cibles, il y a bien sûr Ran, mais aussi Sonoko, Ai et Heiji.

Dans le même genre, Aoyama s’amuse à mettre en péril l’identité fictive de Conan. Ran est souvent sur le point de découvrir la véritable identité de l’enfant qu’elle héberge.

Mais comme Lois Lane, incapable de voir que Clark Kent est Superman avec des lunettes, Ran n’est pas en mesure de croire que Conan est Shinichi avec quelques années en moins.

Parmi les stratagèmes pour corser les affaires, il faut faire un sort particulier au coup du château hanté. Le principe est simple : il faut faire croire que le crime est lié à un être surnaturel.

Pour créer la terreur, il suffit de bruits lugubres dans une vieille maison abandonnée, d’un fantôme tueur dans temple, d’une armure qui se met à sabrer sa victime, des statues se mettant à bouger dans une salle de classe.

La plupart du temps, les éléments surnaturels servent à effrayer les enfants des Petits Détectives, mais avec Conan à leur côté, ça ne marche pas. Parmi les épisodes de ce type on peut citer la Malédiction de l’araignée majestueuse ou celle du 4 du mois.

Enfin la dernière méthode est d’introduire de nouveaux personnages récurrents comme les hommes en noir et leurs acolytes, ou encore le Kid. Ce pastiche d’Arsène Lupin vient en réalité d’un ancien manga d’Aoyama. Il le réutilise dans Détective Conan pour jouer avec sa ressemblance avec Shinichi.

Le Kid prend toujours l’apparence de celui qui est le plus insoupçonnable. Du coup, on est obligé de suspecter tout le monde, à commencer par ceux qui sont les plus proches de Conan. L’auteur applique ainsi le principe des récits de Maurice Leblanc au manga.

Quant aux hommes en noir, ils refont régulièrement surface pour ajouter de la tension dramatique. Gosho Aoyama joue en quelque sorte à cache-cache avec le lecteur. Il nous montre un nouveau personnage, mais on ne sait pas s’il est un ennemi ou un allié de Conan. Et lorsqu’il s’agit d’un adversaire, il se garde bien de nous dire sous quel déguisement il apparaît pour surveiller les héros.

Pour maintenir l’intérêt de Détective Conan, l’auteur s’amuse à berner le lecteur en rédigeant de fausses affaires. Il donne l’impression de commencer une affaire criminelle pour mieux nous faire tomber de haut.

Ainsi on peut être pris d’angoisse car Conan est en danger de mort, alors qu’il s’agit en réalité d’une mise en scène de parents facétieux ou d’un club de théâtre. 

À côté de ces fausses affaires, il y a aussi de véritables crimes à tiroir. Les personnages peuvent enquêter sur un enlèvement qui s’avère être un faux kidnapping qu’ensuite un vrai ravisseur reprend en cours de route.

De même, il arrive qu’un criminel demande aux héros de retrouver une personne, étape préalable à l’accomplissement d’un meurtre. Une banale filature peut servir à créer un alibi parfait pour un autre criminel. Et lorsque les petits détectives sont mandatés pour retrouver un chat, ils tombent sur un cadavre.

Les rebondissements peuvent aller encore plus loin : une répétition théâtrale peut tourner par hasard à un vrai enlèvement qui finit par une enquête en temps limité. Bref, l’affaire dans l’affaire dans l’affaire est dans le sac à la fin de l’épisode.

Tragique méprise

Même si les crimes représentés sont ignobles, violents ou dégradants, le lecteur de roman policier est toujours mis à distance par rapport à l’assassin. Il ne s’identifie presque jamais avec celui-ci. Il est ainsi préservé de toute forme de culpabilité par rapport aux crimes.

Dans Détective Conan, c’est un peu différent. On s’identifie au détective, mais on éprouve de la pitié pour le coupable. Les assassins qu’Aoyama met en scène sont souvent poussés à agir malgré eux. Ils souhaitent généralement punir un coupable que la police n’a pas pu arrêter faute de preuves suffisantes. Dans leur soif de justice, ils ont basculé de l’autre côté et sont devenus des criminels. 

Un des cas assez courants dans les motivations des criminels est ce qu’on pourrait appeler la « tragique méprise ». En général, il s’agit de deux personnes amoureuses. L’une tue l’autre en pensant qu’elle n’est pas aimée en retour, ou l’une venge la mort de l’autre et découvre bien trop tard qu’elle est en réalité responsable du décès de l’être aimé.

À ce schéma s’ajoute des variantes comme les cas où le personnage sait que l’homme ou la femme qu’il aime est décidé à le tuer et qu’il accepte de mourir car sa cause est « juste ».

La grande leçon d’Aoyama est finalement que nous sommes tous des assassins en puissance lorsqu’on veut se faire justice soit même au lieu de faire confiance à la police. La frontière est bien mince entre justice et crime. Et lorsque l’on agit par vengeance, ou sous le coup des émotions, il n’en résulte jamais rien de bon.

En démasquant les coupables, Conan remet de l’ordre dans un monde où les valeurs étaient devenues floues. Sa logique donne du sens à l’existence de personnes privées de conscience par l’idée de punition.

Le crime est mon métier

Dernier élément capital dans Conan, il y a une grande variété dans les moyens mis en œuvre pour tuer les personnages. En lisant ce manga, on a un large panel de techniques plus ou moins alambiquées pour se débarrasser de quelqu’un. C’est une sorte d’encyclopédie du crime.

Au début, il semble qu’Aoyama avait une prédilection pour l’arme blanche : poignard, couteau, sabre, hache et autres objets contondants se succèdent au long des dix premiers volumes. Mais il ne délaisse ni les poisons, ni les bombes, ni les armes à feu qui foisonnent par la suite.

Parfois, il s’amuse à cumuler les moyens pour brouiller les pistes. Un tel a été noyé avant de se retrouver avec une balle dans le corps, tandis qu’un autre a d’abord été poignardé avant d’être défenestré. Toutes les combinaisons sont possibles. 

Le plus intéressant pour les apprentis médecins légistes réside dans les moyens employés par les criminels pour retarder ou avancer l’heure du crime. On retrouve des classiques du genre, comme la montre arrêtée ou les blocs de glace pour abaisser la température corporelle.

S’il y a de l’eau sur les lieux du crime, méfiance. Mais saviez-vous que l’on peut retarder l’heure du crime en enterrant le cadavre ? Ou qu’il est possible d’accélérer la rigidité cadavérique en poussant la future victime à accomplir un gros effort physique avant de la tuer ?

Il paraît que grâce aux romans d’Agatha Christie et à ses descriptions précises des symptômes d’empoisonnement des gens ont réussi à se sauver ou sauver des proches. Peut-être que la lecture de Détective Conan vous permettra de reconnaître les meurtriers avant qu’ils n’agissent.


Article initialement publié dans Animeland.

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