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Gearbox Software : de Half Life à Borderlands

Au Texas, il n’y a pas que le pétrole et Dallas. Outre les amateurs d’armes et de longhorn, on trouve de nombreuses sociétés de jeux vidéo récemment attirées par des aides financières. Les plus anciennes faisaient des FPS : Id Software, 3D Realms… Et parmi elles, Gearbox Software a su rester indépendante et produire ses propres titres.

Tout commence par un problème de personne au sein de 3D Realms. Le développeur Billy Zelsnack est peu apprécié de ses patrons qui finissent par le persuader de quitter le navire. Il fait alors sécession avec d’autres employés frustrés par le management de Scott Miller et George Broussard pour fonder Rebel Boat Rocker en 1997.

Dans ce nouveau studio, il n’y aurait plus de hiérarchie et tout le monde serait consulté. Ils feraient un nouveau moteur 3D génial basé sur Java et ils sortiraient un FPS avec des véhicules, mélangeant décors intérieur et extérieurs, et avec des IA performantes dirigeant les personnages non joueurs accompagnant le héros. Le tout s’appelait Prax War était édité par EA et devait sortir en 1999. Bien sûr l’absence de hiérarchie a débouché sur un non respect des délais et la firme californienne a fini par fermer le robinet à dollars. Les développeurs faisant plus de la R&D qu’un moteur de jeu et les autres livraient des contenus pour le jeu qui ne pouvaient pas être intégré.

Parmi les créateurs de contenu, il y avait Randy Pitchford. Étudiant en droit à l’UCLA, il payait ses études en étant magicien. Mais il passait tellement de temps à jouer aux jeux vidéo que sa petite-amie lui conseilla d’en faire son métier. Il a eu le choix de travailler chez LucasArt et chez 3D Realms : il a choisi ce dernier. Il passe rapidement de level designer à game designer et attaché de presse : c’était une petite équipe et tout le monde touchait à tout. Après l’échec de RBR, Pitchford fonde sa propre entreprise avec Brian Martel et trois autres rescapés, bien décidé à ne pas reproduire les mêmes erreurs. Il le dira à de nombreuses reprises : le jeu vidéo est un divertissement mais c’est avant tout une industrie.

Des engrenages à la valve

Avec certains collègues de RBR, Pitchford se lance dans un nouveau studio qui commence par faire profil bas. Gearbox (littéralement « boîte de vitesse ») naît officiellement en 1999 et s’occupe essentiellement d’extension et de portage de jeux produit par Valve. Mais ils proposent des variations au niveau de la perspective et pas simplement de nouvelles maps à explorer.

Dans Half Life Opposing Force, le joueur incarne un soldat de Black Mesa à la recherche de Freeman et dans Blue Shift, on retrouve ce même changement de perspective. Pendant que Valve travaille à son moteur de jeu (Source), Gearbox s’occupe de Counter-Strike Condition Zero. Par le biais de ces travaux en prestataire, ils se familiarisent avec la Playstation 2 et la Dreamcast. Ils s’occupent aussi du portage de jeu sur console vers le PC comme Halo ou Tony Hawk’s Pro Skater 3 (où apparaît le personnage de Doom en faisant la bonne manipulation). Plus récemment, ils ont même fait le portage de Samba De Amigo pour la Wii. Curieusement, dans le détail du contrat entre Activision et Bungie, il est stipulé que Gearbox ne pourra pas faire d’extension pour leur compte.

La prestation était le moyen le plus sûr de faire du jeu vidéo sans trop de frais tout en économisant pour développer leurs propres titres originaux. Les bénéfices sont en partie réinvestis et 40% sont redistribué au sein du studio pour que tous les employés s’impliquent de la même façon. L’idéal de RBR se retrouve ainsi dans ce partage de la richesse. Cette participation financière est aussi un moyen de fidéliser les employés dans un milieu où toutes les sociétés tendent à débaucher les concurrentes. Brian Martel et Randy Pitchford veulent éviter de reproduire la fin de Duke 3D : seule une personne ayant travaillé sur le jeu est resté au sein de 3D Realms ; toutes les autres sont parties pour fonder leur propre boîte.

Brothers in arms

Après avoir économisé, Gearbox se lance dans la production d’un titre original. Pas question d’investir dans la création d’un moteur de jeu suite à leur expérience malheureuse de RBR : ils utilisent Unreal Engine et restent fidèles aux moteurs d’Epic jusqu’à présent. Bien sûr, il s’agit d’un FPS genre de prédilection des Texans, mais ils donnent au jeu un aspect tactique qui fait son originalité. Lorsque Gearbox présente Brothers in arms aux éditeurs, il s’agit d’une version assez avancée et jouable ce qui leur permet sans doute d’argumenter pour garder la propriété intellectuelle du titre. Activision et EA ayant déjà un jeu de tir se déroulant durant la seconde guerre mondiale, c’est Ubisoft qui signe avec les Texans.

Basé sur l’histoire vraie du 502e régiment d’infanterie parachutiste de la 101e division aéroportée américaine, Brothers in Arms se veut réaliste et tactique. Le joueur commande un petit groupe de soldats et doit surveiller le moral des troupes qui influe sur la bataille.

Bien accueilli par la critique, le jeu se vend suffisamment bien pour que deux autres volets soient produits même si on est loin du succès d’un Medal of Honor ou Call of Duty. Autre avancée importante pour Gearbox : le partenariat avec Double Fusion, société d’advergaming (publicité en jeu) qui leur permet d’accroître l’effet de réel des jeux Brothers in arms avec l’apparition de « vraie » publicités tout en augmentant les revenus potentiels par le biais de la vente d’espace à des annonceurs.

Borderlands

Pendant qu’ils développaient Brothers in arms, les Texans pensaient déjà à leur prochaine licence FPS. Le concept était « simple » : Diablo en FPS. L’idée était de faire un jeu de tir avec du loot et donner un aspect un peu compulsif poussant les joueurs à y revenir encore et encore pour augmenter la puissance de leur personnage ou découvrir de nouvelles armes. « Growth, discovery, choice » : tels étaient les principes fondamentaux du jeu selon Pitchford. Le jeu doit procurer un sentiment de puissance et donner envie au joueur de perfectionner son personnage. L’environnement est vaste et permet de longues phases d’exploration. Il y a une quantité hallucinante d’arme apparaissant de façon aléatoire qui fait de chaque loot une découverte impliquant le choix d’arme à garder ou abandonner.

Ces premiers screenshots de Borderlands datent de 2007 et témoignent de l’orientation très réaliste du graphisme. La direction artistique a été changée tardivement en pleine production. Avec l’esthétique plus « comics » qui permet de faire passer plus de violence, les développeurs ont opté pour l’humour noir à la Starship Troopers.

Malheureusement, la direction artistique ne semble pas plaire à tout le monde et, comme il s’agit d’un FPS, la plupart des analystes financiers ne donnent pas cher de sa peau. Pour Wedbush Morgan, sortir ce titre à la fin 2009 était le « mener à l’abattoir » étant donné la concurrence : Halo 3 : ODST, Call of Duty : Modern Warfare 2, etc.

Et pourtant, en 2009, le jeu s’est vendu à 2 millions d’exemplaire et le chiffre à doublé depuis assurant à Gearbox un matelas suffisamment confortable pour changer de bureau en 2013.

Duke Nukem again

Lorsqu’ils étaient à RBR, les développeurs parlaient du « George » pour désigner le manager et supérieur hiérarchique pour pouvait mettre à plat les choses et trancher. Une fois Gearbox créée, ils ont bien compris que ce rôle était important et Randy Pitchford le tient pour beaucoup de production. C’est sans doute pour cela qu’il joue régulièrement au poker avec son ex-patron George Broussard. Ce serait lors d’une de ces séances de poker que 3D Realms aurait jeté l’éponge et vendu la licence Duke Nukem à Gearbox afin de sortir Duke Nukem Forever après 15 ans d’attente. Entre temps, quatre studios avaient mis la main à la pâte sans parvenir à « finir » le jeu et l’univers du Duke avait pris un petit coup de vieux. Si le personnage était parfaitement en résonnance avec les héros que le public pouvait voir dans les films d’actions des années 1990, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La parodie de Scharzeneger fait moins rire et l’acteur a même eu le temps de devenir gouverneur de Californie.

Durant 24 mois, Gearbox travaille sur le jeu pour y ajouter des fonctionnalités plus contemporaines comme le multijoueur. Mais même s’il est assez réussi, Duke Nukem Forever est trop daté pour beaucoup de joueurs. Le titre a autant de partisans que de détracteurs. Les ventes sont loin d’être formidables même si Take Two annonce que le jeu reste rentable. Finalement, l’arlésienne est enfin sortie et c’est ce qui compte. Pour les fondateurs de Gearbox qui avaient quitté 3D Realms après Duke 3D, finir Duke Nukem Forever est une façon de boucler la boucle et de rendre à ceux qui les ont formé un dernier hommage.

Malheureusement, le jeu n’est ni un succès critique ni une réussite commerciale. Plus encore, en 2014, 3D Realms et sa maison mère Interceptor sont en procès contre Gearbox : chacun réclame le droit d’utiliser la licence Dukem Nukem.

Borderlands 2

Les tests sont d’habitude organisés par les éditeurs pour connaître les avis et les réactions du public face à un titre qu’ils vont commercialiser. Dans le cas de Gearbox, depuis Borderlands, il y a une équipe interne dédiée aux tests et à l’analyse des feedbacks : ils analysent les critiques, les forums et toutes les réactions face aux jeux afin de faire un retour le plus objectif possible aux développeurs. L’organisation de test très tôt dans la production et avant l’intervention des éditeurs permet aussi de mieux correspondre aux attentes du public puisqu’au final seul l’avis du joueur compte réellement.

C’est donc bien mieux armés et plus structurés que les Texans poursuivent leur route tout en gardant farouchement leur indépendance. D’ailleurs Borderlands 2 est un succès critique et commercial (voir l’interview du scénariste ici). La pérennisation de cette série est d’autant plus assurée que Borderlands 2 s’est vendu à plus de 7,5 millions d’exemplaires et devient le jeu de 2K Games le plus vendu à ce jour.

Aliens  : Colonial Marines

Annoncé dès 2006, le jeu Aliens : Colonial Marines a longtemps tardé à venir. Il faut que cette année-là, Gearbox a investi dans plusieurs projets : ils ont acheté les droits pour faire un jeu à partir de Heat (film de 1995 avec Al Pacino et De Niro) et Brian Martel avait pu discuter avec Ridley Scott des droits de Blade Runner et d’Alien. Comme le studio était alors encore relativement petit, ils se sont montrés réalistes et ont décidé de mettre en attente ces projets pour s’occuper d’Aliens qui est annoncé de nouveau en 2008.

Entre temps, le studio a doublé ses effectifs et a dû se réorganiser pour être vraiment efficace. Les Texans tournent alors sur plusieurs projets. Un jeu en pleine production occupe une bonne centaine de personnes pendant que des équipes plus réduites s’occupent de la préproduction ou de la production d’autres titres. Ce roulement des équipes permet à Gearbox de mener de front plusieurs jeux et éviter de mettre tous les œufs dans le même panier. Après le succès de Borderlands, les commandes affluent et le succès les a rendu confiant : actuellement ils sont bien plus de 300.

L’espoir était donc grand chez les fans d’Alien. En outre, pour le scénario du jeu qui est censée être l’épisode manquant entre Aliens et Alien 3, Bradley Thompson et David Weddle ont été appelé à la rescousse. Le duo de scénaristes a participé à plusieurs séries de SF à succès comme Star Treck Deep Space Nine et Battlestar Galactica. Toujours pour avoir une plus grande cohérence entre les films et le jeu, Gearbox a pu accéder à tous les concept arts d’origine et Syd Mead — artiste connu pour la création des décors de Blade Runner, Tron et Aliens — a donné un coup de main pour les décors du jeu. Quant à Lance Henricksen, acteur qui jouait l’androide Bishop, il a participé à la promotion du jeu où son personnage apparaît pour le plus grand bonheur des fans.

Hélas, la déception est vive. Une chose est sûre, si vous êtes fans de FPS, vous pouvez passer votre chemin. En revanche, si vous aimez les films de la saga Alien, il y a sans doute de quoi vous tenir en haleine afin de connaître la « vraie » fin de l’histoire d’Aliens.

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