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Les indé : Eugen Systems

Connu des joueurs de STR, Eugen Systems est le studio parisien qui a créé Act of War et R.U.S.E. est né en 2000 de la passion de deux frères, Alexis et Cédric Le Dressay. Intitulé Eugen en hommage à leur sœur Eugénie, la société a essuyé un revers commercial l’an passé. Il faut dire que sortir un jeu de stratégie après le lancement de StarCraft n’est jamais une bonne idée… Cette année, ils retrouvent leurs racines sur PC et lancent Wargame dont ils nous parlent longuement.

Eugen Systems a grandi au fil de ses titres toujours dans le genre jeu de stratégie : Times of Conflict (2000, Microïds), The Gladiators (2002, Arxel Tribe), Act of War (2005, Atari), RUSE (2010, Ubisoft).

Si les deux premiers ne sont pas restés dans les annales, le troisième leur a permis de se faire un nom dans le genre et les critiques avaient alors tous salué la beauté des graphismes et le gameplay équilibré.

Avec RUSE, ils ont essayé de se lancer sur le marché des consoles et ils en ont profité pour développer un nouveau moteur de jeu impressionnant qui permet de zoomer et dézoomer de façon très simple et rapide afin de se plonger au cœur de l’affrontement tout en proposant un terrain de jeu très vaste.

Hélas, le jeu ne s’est pas vendu autant qu’on pouvait l’espérer et le studio retourne sur PC en changeant une fois de plus d’éditeur.

Après leur dernier déménagement, ils sont désormais rue Saint Denis près des dames de petites vertus mais au centre de Paris et au dernier étage d’un immeuble ce qui leur donne une mini terrasse.

C’est dans ces locaux que nous a accueilli Cédric Le Dressay, co-fondateur du studio. Il nous indique qu’il s’occupe plutôt de la partie administrative et technique alors que son frère est plutôt celui qui se charge du gameplay en tant que directeur créatif.

Complémentaires, les deux frères chapeautent une cinquantaine de personnes et poursuivent leur passion pour le genre RTS.

Comment passe-ton de l’informatique au jeu vidéo ?

Eugen Systems : J’ai fait des logiciels pour des sociétés comme Indosuez à Londres et cela m’a parmi d’avoir suffisamment d’argent de côté pour créer des jeux. Ensuite, c’est une histoire de passion.

C’est vrai que j’aurai pu continuer dans la finance mais je ne pense pas que l’argent soit la chose plus importante dans une vie et faire un jeu a un côté bien plus gratifiant !

Avant je faisais des trucs comme des systèmes d’importation de modules pour des banques. Ça n’intéresse personne.

Un jeu, au contraire, c’est quelque chose qui a vocation à parler à plein de gens ! De plus, tous ces jeux ne sont pas clones, ce n’est pas comme un logiciel de finances où vous avez des spécifications et peu d’éléments d’ordre créatif. Il y a peu de risque dans l’informatique financière.

En revanche, le jeu vidéo c’est l’inconnu. Vous commencez avec certaines idées et une fois mises en œuvre vous vous rendez compte que ce n’est pas drôle à jouer.

Il faut se remettre en cause constamment. Vous essayez des trucs au niveau technique et vous vous rendez compte ensuite que ça ne tient pas sur les meilleurs ordinateurs du moment et vous devez alors optimiser comme un fou. C’est de l’inconnu et c’est passionnant.

Mais pour un développeur, que ce soit un jeu ou un logiciel il s’agit toujours de lignes de code.

Eugen Systems : Au début, quand j’ai travaillé sur du progiciel chez Cap Gamini, je m’attendais à une approche industrielle, c’est-à-dire une façon de rationnaliser le travail et d’avoir une vraie qualité.

Or seul 5% du chiffre d’affaires vient des logiciel, le reste est lié au service et quand vous faites du sur mesure, vous n’avez pas besoin d’avoir une approche industrielle de qualité.

Je pense que j’ai décidé de créer ma boîte car j’avais envie de faire les choses d’une certaine façon et le jeu vidéo me permet de le réaliser.

Quand vous faites toujours le même genre de jeu, vous arrivez à optimiser les processus et avoir une partie « industrielle ». C’est bien plus agréable que de faire des « one shot ». Il y a une amélioration constante et un savoir faire qui se construit.

On disait le jeu PC moribond. Est-ce pour cela que vous étiez passé sur console ?

Eugen Systems : Nous étions allés aux USA lors de la sortie d’un add-on pour Act of war en 2006 et nous avions vu que dans les enseignes de jeux vidéo il n’y avait pratiquement plus de jeux PC.

Ils étaient relégués dans un coin sombre. Ce constat nous a alarmé car cela signifiait qu’il n’y avait plus de public. C’est ce qui nous a décidé à développer un jeu de stratégie sur console.

Mais depuis les choses ont changé et entre Steam, les Free to Play et les plateformes de jeux en streaming comme Onlive, l’avenir du jeu PC semble vraiment très intéressant.

Il y a un bouillonnement créatif ! Le marché PC est ultra dynamique et totalement à réinventer.

De plus, être sur PC nous permet d’avoir une approche plus directe avec le joueur et si on veut lancer un patch pour optimiser certains aspects du jeu, c’est aussi plus facile.

Sur console, il y a plus de freins à la création et les éditeurs imposent un niveau de qualité minimum très élevé qui oblige les développeurs à faire de gros investissements.

Enfin, le PC est vraiment la plateforme idéale pour jouer en réseau et l’aspect communautaire y est bien plus développé que sur console.

Est-ce qu’il n’y a pas de problème de réseau avec Onlive ?

Eugen Systems : Il y a en effet un temps de latence qui peut être préjudiciable dans un FPS, mais dans un jeu de stratégie il y a mille et une manière de le contourner.

RUSE ne s’est pas bien vendu. Est-ce en raison des retards ?

Eugen Systems : Initialement, le titre devait être seulement PC et Xbox 360. Puis il a été décidé d’ajouter la PS3 et il y a eu pas mal de complication dans la programmation.

Ensuite, le problème d’un jeu de stratégie est que c’est toujours difficile de convaincre un large public. On rentre plus difficilement dans le jeu et il y a des mécaniques de jeu et des ressorts à apprendre avant d’apprécier le jeu.

C’est aussi pour cela que nous avions fourni de gros efforts dans le solo de RUSE qui devait être très didactique pour un public qui n’aurait jamais joué à un RTS. Il y avait même des jetons comme dans un boardgame.

Malgré cet aspect simple, le jeu est vraiment riche. Dans le cas de Wargame, le titre a une personnalité encore plus forte et nous ne le lançons que sur PC et Mac.

Quand a débuté l’élaboration de Wargame ?

Eugen Systems : C’est un jeu auquel nous pensions depuis trois ou quatre ans déjà. Nous voulions faire un hommage à tous ces jeux qui nous ont fait rêver, les jeux de stratégies comme Steel Panthers, Close Combat, Combat Mission.

Ce sont des titres avec un accent fort sur la simulation. La production en elle-même a débuté en novembre 2010.

C’est un jeu fait en un an mais qui bénéficie du travail sur les précédents titres. Par exemple, nous avions fait un gros travail sur l’accessibilité pour RUSE et cette façon de penser différemment les interfaces a été réinjecté dans Wargame.

Il y a plus de 25 paramètres à prendre en compte dans la gestion des unités et des véhicules mais le jeu reste simple en apparence pour favoriser la prise en main.

Pourquoi ne faire qu’une version pour ordinateur ?

Eugen Systems : Nous avions envie de faire ce titre et le public pour ce genre de jeu n’est pas sur console. C’est plus simple au niveau du développement de ne faire qu’une version. Sinon il aurait fallu prendre en compte les commandes au pad et le fait que les machines sont moins puissantes que les PC.

Après tout, la Playstation n’est autre qu’un vieux PC avec une mauvaise carte graphique et architecture bizarroïde. Cela nous aurait demandé beaucoup d’effort pour un résultat finalement peu intéressant.

Le problème des jeux multiplateforme est qu’il faut souvent passer plus de temps sur la technique pour obtenir le même rendu. C’est autant de temps en moins pour améliorer l’immersion et les mécaniques de jeu.

Mais ça ne veut pas dire qu’on abandonne la console. Des choses comme le Xbox Live ou Kinect sont très intéressant.

Pourquoi faire une version Mac ?

Eugen Systems : C’est une petite part du marché PC mais nous pensons que c’est un segment vraiment intéressant. Et puis nous avons tous un objet avec la pomme.

Mon frère Alexis travaille sur Mac depuis un an et c’est une autre façon de concevoir les choses. Ce n’est pas du tout comparable en terme d’ergonomie.

Ensuite, derrière le mac, il y a un système d’exploitation Unix et nos jeux pour des raisons techniques marchent aussi sur ce système.

Vous parliez d’accessibilité. N’est-ce pas au détriment de la complexité du gameplay ?

Eugen Systems : Nous respectons les canons du wargame mais la prise en main sera facilité par le biais des interfaces. La plupart des RTS se joue au tour par tour tandis que notre titre se déroule en temps réel. C’est très important pour rendre la partie multijoueur plus dynamique et favoriser l’expérience communautaire.

Ensuite, il faut dire que l’accessibilité n’a jamais vraiment été un point fort des RTS car souvent ce type de jeu est réalisé par de petits studios qui doivent déjà se battre avec moteur 3D souvent pas adapté et des soucis opérationnels.

Dans notre cas, nous avons la chance de capitaliser le savoir acquis avec RUSE et la technologie développée alors. Dans Wargame, on retrouve l’Iriszoom et une version améliorée du précédent moteur de jeu.

Quel est le cadre du nouveau jeu ?

Eugen Systems : Le jeu se déroule durant la guerre froide. Nous avons fait un titre le plus réaliste possible en nous appuyant sur des faits historiques.

Il y a eu plusieurs moments de tension durant cette époque et nous avons simplement fait en sorte que la tension ne retombe pas comme ce fut le cas dans la réalité.

On s’appuie sur des faits réels pour que le joueur en apprenne un peu sur la période et on le sensibilise à la notion d’escalade. À l’époque les stratèges pensaient que si la guerre était déclarée, cela se ferait en Europe et l’Allemagne serait le terrain de bataille.

Bien qu’il y ait une menace nucléaire, il s’agit dans le jeu d’une guerre conventionnelle classique. En effet, dans le cas d’une guerre nucléaire, personne ne gagne.

Par exemple, il y a une mission qui reprend l’opération Able Archer de 1983. C’était un exercice de simulation militaire mené par l’OTAN près de la frontière allemande à la passe de Fulda.

L’opération était si réaliste que les troupes du pacte de Varsovie ont été mobilisées pour riposter à ce qu’ils percevaient comme les prémisses d’une attaque américaine.

Pourquoi situer le conflit seulement en Europe ?

Eugen Systems : Dans la plupart des jeux on incarne toujours un Américain. C’était aussi le cas de RUSE, mais nous avions ajouté tout un camp français où il y avait plein d’unités qui n’existent en réalité qu’en prototype. Certains joueurs américains nous l’avaient reproché.

Cette fois-ci nous voulions faire un titre proche de nous en mettant plus en avant les armées des pays européens. D’ailleurs notre public est essentiellement en Europe.

Du coup, les joueurs pourront choisir d’avoir des unités uniquement françaises ou franco-allemandes s’ils le veulent. Dans la campagne solo nous avons essayé d’éviter de présenter l’histoire sans un prisme idéologique.

Il ne s’agit pas de savoir qui sont les bons ou les méchants mais de voir comment deux forces en présence entre en conflit et le joueur pourra aussi incarner les armées du Pacte de Varsovie.

Quelle est la taille des cartes et l’impact de l’environnement sur le jeu ?

Eugen Systems : Les cartes font environ 100 km2 et il y 60 millions d’objets posés individuellement sur la carte et il est possible de zoomer au plus près.

L’environnement a du sens sur le champ de bataille : si un char prend la route il va plus vite et consomme moins d’essence que s’il traverse la forêt.

Les éléments sur le terrain sont pris en compte dans les tirs : forêt, bosquet ou muret peuvent cacher des véhicules et sont pris en compte lors des tirs. Tous ces éléments sont destructibles.

Le dénivelé est également pris en compte dans les déplacements et les tirs.

Le fait d’avoir une grande carte permet d’utiliser la manœuvre : faire un retrait stratégique, contourner l’ennemi pour l’attaquer sur le flanc là où le blindage est moindre pour affecter le moral des troupes et les mettre en déroute. Il y a donc plus de moyen d’expression.

Tout n’est pas joué de façon instantanée comme dans une petite carte. On peut aussi créer plusieurs zones d’affrontement même s’il vaut mieux privilégier un seul front pour concentrer son tir.

Même s’il y a des IA, il est toujours mieux contrôler ses troupes car elles ne vont pas prendre l’initiative de faire une manœuvre de recul tactique.

Les interfaces sont assez discrètes.

Eugen Systems : Nous y intégrons les informations de façon synthétiques. On trouve par exemple une barre d’expérience des unités.

Plus l’équipage plus expérimenté, plus vite il peut recharger et mieux supporter le stress car si le moral est bas il peut y avoir une déroute. Comme l’expérience est conservée d’une mission à l’autre, le joueur a intérêt à garder des troupes en vie.

Il y a aussi une barre opérationnelle qui fait la synthèse de plusieurs paramètres. Par exemple, pour les chars, de multiples paramètres sont à prendre en compte : calibre, vélocité, munition, essence… Il faut gérer ses ressources et donc le ravitaillement car une fois sans essence, un char n’est plus qu’une tourelle fixe.

Pour faciliter les tirs, il y a un pourcentage qui s’affiche pour indiquer les chances d’atteindre la cible parmi les paramètres pris en compte il y a l’état des stabilisateurs, l’environnement, le mouvement du véhicule, etc.

Ensuite, selon les modèles, le joueur a intérêt à rester à distance ou au contraire à aller au contact pour faire feu.

Il y a un travail d’identification de la menace pour privilégier certains types de réponses comme par exemple utiliser l’infanterie avec armes anti-tank au lieu de l’artillerie et ce d’autant plus que les munitions sont limitées.

Pour l’artillerie, il y a aussi un pourcentage de réussite qui est affiché. Il prend en compte un maximum de paramètres comme dans la vie réelle : vent, distance, matériel plus ou moins bien entretenu, etc. Et plus on tire plus on peut corriger et centrer le tir.

Toutes les unités sont-elles disponibles en début de jeu ?

Eugen Systems : Il y a 320 unités différentes mais il faut les débloquer a fur et à mesure. En début de partie, le joueur dispose de 1000 points pour faire son marché parmi les éléments disponible et se créer un deck en prenant 3 ou 4 éléments par types.

Pour gagner des points supplémentaires, il faut envoyer de unités de commandement particulières qui sont des officiers se déplaçant en jeep ou en hélicoptère.

Bien sûr chaque zone n’a pas la même valeur et ne rapporte pas autant de points. Comme ce sont des unités légères, sans renfort leur perte est assurée…

Pour chaque type de véhicule, il y a aussi les diverses versions avec les améliorations qui sont liées. De même, selon l’expérience et le grade des équipage le prix n’est pas le même. Il faut donc bien constituer son deck en début de partie selon sa façon de jouer.

Quelles sont les particularités du mode multi ?

Eugen Systems : En ligne, chaque joueur constitue également son deck avant d’entrer en combat. Cette fois-ci, l’interface a été travaillé pour que l’attente soit moins austère : on peut consulter l’almanach avec toutes ses unités, changer les options, chatter, regarder les niveaux en solo, multi et ranked de ses adversaires…

Il y a une vingtaine de carte sur le multi. Parmi les options, il est possible de jouer 1vs1, mais aussi 4 vs 4 comme dans RUSE et même 1 vs 7 !

Chaque équipe disposant du même budget pour se constituer un deck, si vous êtes face à 7 personnes peu organisées, vous pouvez très bien remporter la bataille car vous avez une meilleure connaissance et gestion de vos unités.

Pour les compétiteurs, il y a aussi une option dédiée et un classement basé sur le système ELO. Pour les autres, le fait de jouer rapporte des points même si vous perdez systématiquement vos combats. C’est une façon de ne pas pénaliser les débutants et les encourager à persévérer.

Il y a plusieurs mode de jeu selon les objectifs que vous voulez fixer : gagner au temps (celui qui obtient le plus de point en 10 minutes de jeu), décimer toutes les unités ennemis ou juste les unités de commandement.

L’autre nouveauté est que nous avons une technologie propriétaire pour gérer le jeu en ligne. Avant il était impossible de savoir si un jouer a débranché son câble réseau.

À présent, il est possible de détecter que untel n’est plus connecté et donc c’est lui qui sera pénalisé. Cette technologie nous permet aussi de mieux comprendre ce qu’aiment les joueurs, s’il y a des unités qui sont très utilisées, s’il y a des stratégies trop faciles à mettre en place.

La suite dans IG magazine 17 en kiosque.

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