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Rencontre avec Chet Faliszek, écrivain de Portal 2

Si vous jouez à Portal, vous savez que le plus important, ce ne sont pas les puzzles qui forment le cœur du gameplay, mais l’univers et ses personnages hauts en couleurs qui vous accompagnent. Portal 2 proposant de nouveaux protagonistes et un mode en coopération, nous avons demandé à Chet Faliszek comment ils ont été produits. Voici des extraits de l’entretien paru dans IG Magazine 14 (printemps 2011).

Chet Faliszek

Pourquoi contrôler des robots plutôt qu’un humain comme dans le mode en solo ?

C’était assez perturbant pour les joueurs de voir l’un ou l’autre mourir sous leurs yeux. Le monde de Portal est très propre, très scientifique et doté d’une bonne dose d’humour pince-sans-rire.

Assister à la mort de son coéquipier dans des conditions plus ou moins atroces ne cadrait pas vraiment avec l’univers du jeu. Il était plus cohérent et plus fun de voir son partenaire robot se faire démembrer avant de revenir résoudre l’énigme.

Portal ScreenShot 5

Comment avez-vous élaboré l’espèce de langage entre les deux robots de Portal 2 en coop’ ?

Cela vient de l’équipe d’animation et du son. Elle a élaboré des sons à partir de voix humaines. Nous lui avons demandé de prendre des tonalités bizarres et nous les avons recomposées.

C’est un peu comme l’aboiement de Scoubidou. Vous savez, le ouah ! ouah ! rigolo. C’est drôle et sans rapport avec le réel, mais ça fait passer un message.

Pourquoi avoir créé Wheatley, l’IA qui vous aide dans le jeu en solo ?

Portal 2 est bien plus long que le premier et il fallait que nous gardions un bon rythme pour que le joueur reste stimulé et veuille continuer à jouer. Il y a donc un mélange en ce qui concerne les énigmes à résoudre, l’ambiance des niveaux et les voix.

Portal ScreenShot 4

Si le joueur n’entendait que la voix de GLaDOS tout au long du jeu, ce serait monotone. Nous avons pensé qu’en introduisant un personnage nouveau tout à fait différent et possédant une signature vocale bien marquée, les dialogues seraient plus rythmés et accrocheraient plus les joueurs.

Wheatley a une voix masculine avec un accent britannique et un débit très rapide, tandis que GLaDOS parle plus posément avec une voix suave de femme américaine.

Ce contraste est renforcé par l’introduction de la voix de Cave Johnson, le fondateur d’Aperture, qui parle avec un phrasé très typé qui rappelle les publicités américaines. Ces trois voix permettent de donner du relief au jeu et de garder le joueur en éveil.

Portal ScreenShot 3

Comment avez-vous conçu Wheatley ?

Nous voulions donner au joueur un compagnon dans son évasion. C’est un peu le personnage secondaire dans les films d’action américains, le sidekick.

Steve Merchant est vraiment parfait dans ce rôle. Avec son accent anglais, sa façon de s’interrompre et de reprendre en plein milieu de ses phrases, il a vraiment un phrasé qui forme une musique particulière et il nous a été plus simple d’écrire des lignes de dialogues avec sa voix en tête.

Cette voix a le grand avantage qu’il paraît naturel de ne pas l’entendre pendant un moment puis de l’entendre à nouveau lorsque la conversation reprend. Il s’interrompt au milieu de ses phrases et nous permet de poser la voix pendant la phase de jeu, tout cela en conservant un aspect naturel.

Cela veut-il dire que vous aviez la voix de l’acteur avant d’écrire les dialogues ?

En fait, que ce soit pour PortalLeft 4 Dead ou tout autre jeu de Valve, nous avons toujours un personnage et une voix en tête avant de commencer l’écriture.

Portal ScreenShot 2

Ensuite, nous nous servons des voix d’acteurs connus pour donner une densité au dialogue et nous aider à matérialiser le personnage. Il est plus simple d’écrire pour une voix dont vous avez déjà une idée plutôt que d’écrire dans le vide et d’accoler ensuite une voix.

C’est aussi plus simple pour que l’équipe qui travaille sur les dialogues se coordonne car tout le monde a les mêmes repères. Dans le cas de Wheatley, nous avons conçu un personnage fictif et lui avons attribué la voix de Steve Merchant pour ensuite rédiger et adapter les dialogues. Cela se fait presque toujours dans cet ordre.

Combien de personnes se sont chargées de l’écriture des dialogues ?

Nous sommes plusieurs. Il y a Erik Wolpaw, Jay Pinkerton et d’autres personnes. J’ai également écrit quelques phrases. Parfois, nous avions aussi des gens qui apportaient des idées que nous transcrivions en dialogues.

Vous savez, pour un titre comme celui-ci, il y a vraiment beaucoup de dialogues et nous avons sans doute écrit deux fois plus de phrases qu’il y en a dans le jeu final.

Portal ScreenShot 1

Nous avons essayé plein de choses. Certains passages n’ont pas été retenus car ils ne fonctionnaient pas bien ; d’autres nous emmenaient dans des situations différentes.

Pour ce genre de jeu, il faut qu’il y ait un maximum de personnes pour en parler et faire avancer les choses. Ça entre vraiment dans le processus créatif.

Avez-vous participé au choix des voix dans les différentes langues ?

Là encore, nous avons travaillé en collaboration avec l’équipe de traduction car nous avions une idée assez précise de ce que nous voulions, même s’il faut bien entendu s’adapter aux différences culturelles des pays.

Ainsi, pour la voix de Cave Johnson, nous avons créé dans la version originale un personnage très stéréotypé avec un phrasé particulier. Mais selon les pays, ce genre de stéréotype ne vient pas avec le type de voix qui correspond à ce que l’on trouve en Amérique.

Nous avons alors fait confiance aux équipes dans les choix qu’elles ont opérés. L’important est que le personnage soit respecté, même si la voix de la version traduite est éloignée de la voix originale.

Et que dire à propos de l’oiseau ?

Disons que c’était l’un des éléments qui nous faisait beaucoup rire. Nous avions même prévu pas mal de choses avec l’oiseau mais ça ne s’est pas fait.

Est-ce difficile d’écrire à plusieurs ?

L’un des facteurs les plus importants dans le recrutement chez Valve est que tout le monde doit pouvoir travailler en équipe et s’entendre.

Vous devez être capable de parler de votre travail et de partager vos opinions et décisions avec le reste de l’équipe. Erik et moi avons écrit ensemble pendant des années.

Jay Pinkerton et lui sont sans doute devenus plus proches après l’écriture de Portal 2. Nous avons donc tous la même faculté à travailler à plusieurs sur le même projet.

Est-il plus facile d’écrire pour le jeu vidéo ?

Chaque média a sa particularité. Prenons l’exemple du solo et de la coop’ dans Portal 2. Dans le jeu solo, les choses sont plus simples dans le sens où l’on construit une histoire et un univers de façon relativement traditionnelle.

Dans le mode coop’, les écrivains doivent se mettre en retrait et laisser les joueurs créer leur propre histoire. Ils partagent des moments ensemble et peuvent se raconter leur aventure sur le mode : « Eh, tu te souviens quand je t’avais dit de faire ça, que tu as fait autre chose et que tu es tombé ? »

C’est donc une écriture totalement différente des autres supports où l’on subit en quelque sorte la narration d’un autre, avec des passages plus ou moins obligés et prévisibles.

Ensuite, il y a des choses vraiment très intéressantes en termes de narration qui sont faites actuellement. Mais je ne souhaite pas en dire plus au risque d’en vexer certains.

La suite dans IG magazine 14.

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