« Powerpuff girls sous acide ». Telle pourrait être la définition du monde de Junko Mizuno, artiste et mangaka plus connue en Occident que dans son pays d’origine. Grâce à ses adaptations adultes de contes de Grimm, elle a conquis le public et pris son envol hors du manga et du Japon pour devenir une artiste underground.
Au premier abord, on pourrait confondre l’univers de Junko Mizuno avec celui des magazines pour enfants : graphismes ronds, couleurs vives, grands yeux kawaii. Mais dans ce monde, les femmes sont souvent nues, violentes et puissantes.
La rondeur de leur forme n’a égale que la cruauté de leurs aventures. Civilisation post apocalyptique où les médecins sont des drogués qui prennent plaisir à torturer leurs malades Pure Trance (1998).
Belle-famille de zombies avec une Cendrillon qui perd son œil au lieu d’une chaussure de vair Cinderalla (2000). Gamine élevée dans une décharge par des corbeaux soudain dotée de pouvoir magique Ravina the Witch (2013). Gamète extraterrestre cherchant son âme sœur sur Terre et se trompant systématiquement Pilou, apprenti gigolo (2003).
Du dôjinshi aux jouets
La carrière de Junko Mizuno commence presque par hasard. Des amis avaient ouvert une boutique dans le quartier de Harajuku et elle avait peint l’un des murs pour la décorer.
Par la suite, elle a pu y vendre son dojinshi, MINA animal DX (1996). Réalisé avec de simples photocopies reliées en noir et blanc, il ne coûtait que 300 yens et était tiré à environ cinquante exemplaires.
Mais la qualité était suffisante pour plaire aux journalistes des magazines Popeye et H de passage dans la boutique. Elle a ensuite reçu des commandes d’illustrations pour ces revues.
Grâce à cette exposition médiatique dans la presse, le label de music techno Avex Trax lui a commandé une série de livrets de CD. Par la suite, elle a relié les différents éléments pour en faire son premier manga, Pure Trance (1998).
Le format carré initial des livrets de CD explique le côté inhabituel des planches. Pour la version anglaise, elle a retravaillé de nouveau les planches pour le sens de lecture occidental et refait certaines couleurs.
D’autres éditeurs lui ont proposé d’adapter les contes de fée car ils ne l’estimaient pas capable de faire elle-même un scénario qui tienne la route. Il en résulte les trois one-shot : Cinderalla (2000), Hansel et Gretel (2000), La Petite Sirène (2002).
Ces versions très trash ont beaucoup contribué à la populariser auprès du public américain et européen. C’est d’ailleurs par le biais de la dessinatrice italienne Barbara Canepa qu’elle a signé un contrat chez l’éditeur français Soleil pour Ravina the Witch (2013).
Parallèlement Junko Mizuno participe à des projets de bandes dessinées mondiaux avec sa version de Spiderman pour Marvel (en sachant qu’elle n’avait jamais lu aucun comics auparavant).
Elle vend ses peintures dans les galeries d’art depuis 2007 et créée des designs pour des tatouages, des montres, des applications mobiles, des préservatifs et des lubrifiants…
Femme enfant
Couronnée comme la reine du Kawaii Noir, Junko Mizuno est une artiste qui ressemble étrangement à ces personnages féminins. Visage rond et souriant. Elle semble avoir 18 ans alors qu’elle a une quarantaine.
Petite chose fragile qui lorsqu’elle était petite a frappé jusqu’au sang le garçon qui lui avait piqué son jouet et en a éprouvé une grande satisfaction. On ne plaisante pas avec les jouets.
Le jour où sa mère l’estimant trop grande a subrepticement enlevé tous les jouets pour les donner à ses cousins est un jour traumatisant qui explique sans doute pourquoi à l’âge adulte elle est devenue une collectionneuse.
Elle a alors passé beaucoup de temps sur le site d’enchères de Yahoo! pour assouvir sa passion.
Dans son ancien petit appartement japonais, les jouets étaient exposés un peu partout. Ils lui servent d’inspiration. Elle apprécie particulièrement ceux qui datent des années 1960 avec leur graphisme naïf, leur forme ronde et leurs couleurs vives.
Dans son appartement de San Francisco où elle vit depuis 2009, les jouets sont rangés et classés dans différentes caisses qu’elle ressort quand elle a besoin d’inspiration.
Parmi ses favoris, on retrouve des produits purement japonais comme les Re-Ment (monde miniature caché dans des objets courants comme un sac). Mais il y a aussi les classiques Mon Petit Poney, Polly Pocket, Charlotte aux Fraises.
Elle a d’ailleurs créée une version sorcière d’un Petit Poney, avec capuche et tatouages pour rendre la bestiole plus gothique. Junko Mizuno s’est également mise à faire des jouets pour KidRobot et d’autres fabricants.
Et en 2008, la marque de mode italienne Fornarina avait même réalisé une sculpture de pieuvre géante pour un happening lors d’un salon.
Une chose est sûre, les jouets qu’elle fabrique n’ont rien d’enfantin et possèdent toujours une connotation sexuelle à l’instar du Kuro Megami, déesse noire à la poitrine nue et jambes écartées.
Folle de dessins
Même si elle collectionne les jouets et en élabore, Junko Mizuno est surtout connue pour ses dessins de lolitas sordides et mignonnes à la fois, son mélange de sexe et de violence dans un univers d’apparence enfantin.
Quand elle était jeune, elle dessinait ses propres magazines et les présentait à sa grande sœur. Et l’on peut supposer qu’à l’époque le contenu était moins osé.
Grande lectrice du magazine Ribbon, elle a commencé en copiant les dessins du mangaka Makoto Takahashi et elle a même plusieurs fois envoyé des planches à l’éditeur en espérant devenir mangaka.
Son style évolue vers quelque chose de plus graphique lorsqu’elle devient fan de Sailor Moon et réalise ses versions personnelles du manga.
Plus récemment, avec Pilou, apprenti gigolo (2003) qui est en noir et blanc, elle a beaucoup plus travaillé son dessin et ses lignes. Même dans ses images en couleurs, elle délaisse les aplats et les gros contours noirs pour des œuvres plus fouillées.
Ses illustrations regorgent de lignes et de couleurs plus passées un peu comme une version moderne et colorisée d’Aubrey Beardsley. Les éléments s’entrecroisent dans un chaos psychédélique et fascinant.
Dès ses débuts, elle mélange sexe et nourriture, deux éléments essentiels de la vie selon elle. Plus récemment, elle s’inspire des dessins de végétaux comme ceux d’Ernst Haeckel et semble faire des femmes fleurs (vénéneuses) un motif de prédilection.
Quand bien même elle est incapable de garder en vie un cactus dans la vie réelle, elle adore les plantes carnivores et ses illustrations en sont une preuve.
Si au début ses personnages féminins étaient des lolitas, désormais ils ressemblent bien plus à des déesses d’une nouvelle religion de la fertilité, prête à submerger le monde par ses fluides corporels.
En tout cas, ils envahissent déjà les galeries d’art et les librairies.
Retrouvez Junko Mizuno sur son blog.
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Une réponse sur « Junko Mizuno ou le kawaii trash »
un super résumé de l’artiste. par rapport aux yeux, c’est un truc qui m’interpelle depuis longtemps. j’ai l’impression qu’en tant que dessinateur, on a tendance à donner (inconsciemment) à nos personnages la forme de nos propres yeux….