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Red Pill, Black Pill, White Pill, Clear Pill : une généalogie

Depuis le Tweet d’Elon Musk, l’expression Red Pill est devenue mainstream. Mais la plupart des médias l’interprète d’une manière négative car ils ne comprennent ni son origine ni ses implications. Revenons à sa création dans les textes de Mencius Moldbug (Curtis Yarvin) et retraçons son évolution vers les Black Pill, White Pill et Clear Pill.

Pour ceux qui ne passent pas leur vie sur Internet (et vous avez raison), les médias autorisés décrivent l’expression Red Pill (« pilule rouge ») comme misogyne, liée à l’extrême droite (Alt-Right, Far Right), voir aux Nazis. N’ayez pas peur, ce n’est rien de tout cela. 

Voici les réponses courtes pour les gens pressés.

Qu’est-ce que la Red Pill ?

Red Pill : systématiquement mettre en doute les discours des médias et des institutions.

Qu’est-ce que la Blue Pill ?

Blue Pill : croire les discours des experts et des médias de manière grégaire.

Qu’est-ce que la Black Pill ?

Black Pill : être désespéré après trop de Red Pill et choisir des solutions extrêmes.

Qu’est-ce que la White Pill ?

White Pill : être optimiste malgré trop de Red Pill.

Qu’est-ce que la Clear Pill ?

Clear Pill : être conscient de son rayon d’action et profiter du spectacle chaotique des forces en présence.

Pour les esprits curieux, voici la généalogie du concept de Red Pill.

Red Pill version mainstream

Lorsque Red Pill est employée par l’entrepreneur Elon Musk, créateur de Tesla et de SpaceX, les réactions sont diverses. D’un côté, la fille du Président des États-Unis est enthousiaste, de l’autre l’un des créateurs du film Matrix est outré. 

Dans le film des Wachowski sorti en 1999, le personnage de Morpheus propose à Neo de comprendre la réalité (en prenant la pilule rouge) ou de rester dans le confort de l’illusion (en prenant la pilule bleue). L’idée en soi n’est pas neuve. 

Dans le livre VII de la République, Platon employait déjà une image similaire : l’allégorie de la caverne. Les hommes pensent que les ombres projetées au mur sont la réalité, de même que Neo pense vivre dans une vraie ville moderne.

Prendre la Red Pill est donc choisir de sortir de l’illusion, de découvrir la vérité.

Dans le cas d’Elon Musk, la référence à Matrix est d’autant plus logique qu’il envisage que le monde est une simulation. Il a exprimé cette opinion dans le Podcast de Joe Rogan et les médias autorisés l’ont ridiculisé pour cela. 

En réalité, cette version moderne du mythe de la caverne (ou du rêve du papillon pour les sinophiles) a été formulée par le philosophe Nick Bostrom dans un article universitaire en 2003 : “Are you living in a computer simulation?”

Lorsqu’Elon Musk annonce qu’il prend la Red Pill, il déclare essentiellement qu’il ne va pas suivre les prescriptions des institutions et rouvrir les usines Tesla en laissant à ses employés le choix de venir travailler ou non.

Il ne dit pas qu’il devient membre du parti Républicain américain, ni qu’il est devenu misogyne. Il rejette simplement le récit médiatique sur la dangerosité du virus et les traitements imposés par les institutions et promus par la presse.

Ce sens précis de la Red Pill vient des textes de Mencius Moldbug, pseudonyme de Curtis Yarvin.

Red Pill version Curtis Yarvin

Qui est Mencius Moldbug ? Un entrepreneur et nerd passionné de textes politiques anciens. Sa famille est d’origine juive et ses grands-parents sont communistes. Sous son nom réel, Curtis Yarvin est connu pour la création de l’OS Urbit, c’est-à-dire un système d’exploitation informatique.

Sous son nom de plume, il est connu pour de multiples livres disponibles sur le site Unqualified Reservations ou « Doutes illimités ». Le pseudonyme comporte une référence à Mencius (孟子), philosophe chinois disciple de Confucius ayant vécu au IVe siècle avant JC.

Mais il contient aussi un jeu de mot Moldbug pouvant se traduire par punaise (bug) des moisissures (mold) en raison de son goût pour les vieux écrits. Bug est bien sûr aussi un clin d’œil à son travail d’informaticien.

Derrière ce pseudonyme humoristique, Curtis Yarvin annonce dès la page d’accueil son intention de dénoncer les illusions créées par les médias.

Il se présente comme l’anti Noam Chomsky. Ce dernier a longuement fustigé les médias et les institutions américaines comme des machines de propagande poussant l’Amérique à devenir le gendarme du monde. 

Selon Moldbug, les théories de Chomsky décrivent à juste titre les institutions comme machine de propagande. Mais elles sont fausses dans le sens où il s’agit essentiellement d’une propagande communiste. 

L’ensemble des textes disponibles sur Unqualified Reservations expriment ainsi des doutes illimités concernant le rôle affiché de la presse, de l’université et autres institutions que Curtis Yarvin regroupe sous le nom Cathedral. En France, le terme Institution suffit. 

Le questionnement systématique des autorités constitue la Red Pill telle qu’elle est proposée par Moldbug. 

Black Pill ou les désespérés

Ceux qui émettent des doutes concernant les institutions et les discours mainstream sont donc des personnes ayant pris la Red Pill.

C’est pourquoi l’expression s’applique aussi bien aux partisans politiques, aux hommes lésés par le féminisme, aux féministes ostracisées par le mouvement transgenre, aux Blacks ne votant pas Démocrate aux USA.

Réalisée par une cinéaste féministe, le documentaire Red Pill montre de quelle manière les réglementations actuelles favorisent les femmes au détriment des hommes. 

Mettant en doute les institutions et surtout la presse, les personnes ayant pris la pilule rouge (Red Pilled) sont généralement victimes de campagne de dénigrement et de censure. Au mieux, les médias les qualifient de théoriciens du complot, de néo-réactionnaires. Au pire, ils seraient des partisans d’extrême droite.

La stigmatisation accroît la défiance dans les médias et les institutions. Les Red Pilled prennent alors la Black Pill. Autrement dit, ils n’envisagent plus aucun changement positif, aucune manière de rectifier les réglementations ou de modifier les institutions. Entre nihilisme et colère, beaucoup cultivent une apathie volontaire ou un ressentiment dévastateur.

La rancœur est d’autant plus grande que les gens qui ont la Blue Pill, les gens ordinaires, croient toujours aux médias et obéissent aveuglément aux institutions quand bien même celles-ci se contredisent constamment.

La propension à obéir sans discussion et à répéter les discours des médias a donné l’émergence à de nombreux mèmes dont celui des NPC ou en français PNJ, « personnage non joueur » dans le jargon du jeu vidéo. Il s’agit de personnages contrôlés par l’IA du jeu, dont les répliques et comportements sont prévisibles a contrario des actions du joueur. 

White Pill ou le retour à la foi

Si les Blacked Pilled sont désespérés, ceux qui prennent la White Pill sont plutôt optimistes. Ils cherchent à voir dans tous les événements des lueurs d’espoir, c’est-à-dire une prise de conscience de la nuisibilité des médias chez les Blue Pilled, une réforme des institutions, un changement politique.

Chaque événement contraire du récit médiatique imposé par les institutions est alors une White Pill. Le Brexit est la principale White Pill des Anglais au niveau politique. Bon, évidemment le comportement récent du gouvernement Tory a plutôt alimenté les gens en Black Pills

Dans certains cas, la White Pill est aussi associée à un retour à la foi chrétienne. Si tout est perdu ici-bas, il reste un au-delà où Dieu assure une place aux justes. Si l’on est croyant…

Bien sûr, on pourrait se moquer de toutes ces pilules et se demander s’il n’y a pas des pilules jaunes, vertes ou multicolores. Mais en réalité, la Red Pill et les deux conséquences de sa consommation en trop grosse dose (Black Pill et White Pill) sont liées. 

Il s’agit d’un rejet des autorités et notamment des partis politiques en place perçu comme des variations autour de la même religion séculaire. En ce sens, les Red Pilled peuvent être intégrés à la New Right (« nouvelle droite ») que Michael Malice définit ainsi :

“A loosely connected group of individuals united by their opposition to progressivism, which they perceive to be a thinly veiled fundamentalist religion dedicated to egalitarian principles and intent on totalitarian world domination via globalist hegemony.”

The New Right: A Journey to the Fringe of American Politics, 2019, p. 3

En fait, ce que Michael Malice nomme la nouvelle droite englobe tous ceux qui ne veulent pas suivre l’agenda imposé par les autorités en place, qu’elles soient de droite ou de gauche.

Clear Pill ou le theatrum mundi

Après plusieurs années sans nouvel écrit sur Unqualified Reservations, Curtis Yarvin / Mencius Moldbug est revenu sur le devant de la scène avec une série d’articles pour la revue American Mind. Il s’agit pour lui de clarifier un certain nombre d’élément et de proposer la Clear Pill.

Il la définit de cette manière dans la première partie de la série :

“The clear pill does say you’re in a dome. It says nothing about the real world outside that dome, only that you know nothing about that world—just some facts. It does not even challenge any of those facts. It is made from pure philosophy and contains no jet fuel or steel beams.”

The Clear Pill, Part 1 of 5: The Four-Stroke Regime

En résumé, il s’agit d’un athéisme politique, d’une neutralité choisie après avoir pris conscience de la propagande de tous les côtés, et non la neutralité par défaut des NPC.

Les deux premiers articles de Moldbug reviennent sur la similitude des discours de droite et gauche, la machine de propagande destinée à faire croire aux crédules que les partis ont des objectifs opposés. 

Ce que propose Curtis Yarvin n’est pas de s’impliquer en politique pour détruire ou réformer les institutions et le médias. Il nous propose de ne pas être dupe, d’être non compliant, c’est-à-dire de refuser de se conformer aux normes.

De cette manière, il est alors possible de profiter en spectateur du chaos actuel, de la manière dont les institutions tentent de garder le contrôle sur les récits médiatiques. Il s’agit de contempler la Cathedral en cours d’effondrement pour reprendre l’image architecturale de Moldbug.

Des exemples de ces glitchs dans la matrice ? Admirez comment les utilisateurs du forum 4chan sont parvenus à transformer le geste OK en signe de ralliement pour l’extrême droite. La campagne “Operation O-KKK” est un hoax, une supercherie faisant accepter comme authentique quelque chose d’absurde.

Depuis lors, à peu près tout est devenu soit raciste (comme le singe de Coco Pops), soit un signe de ralliement pour l’extrême droite selon les médias et les experts.

Pour mieux en rire, le comédien Andrew Doyle a créé Titania McGrath dont le compte Twitter (@TitaniaMcGrath) pousse à l’excès les discours ambiants.

D’autres glitchs dans la matrice apparaissent dans le jeu vidéo où la mainmise des médias et des experts se perçoit à travers les censures plus ou moins cohérentes de la poitrine ou de l’arrière-train des personnages féminins.

L’avantage des jeux vidéo et des autres loisirs est que le public peut choisir d’acheter ou non le produit culturel. Être non compliant est plus simple et permet de faire des économies.

Ainsi, la prescription des nombreuses pilules sert selon Mencius Moldbug à ne plus avaler de couleuvres.

Pur produit de l’intelligentsia américaine, éduqué à Brown et Berkeley, pro Biden pour les élections de 2020, Curtis Yarvin exprime plus clairement son message dans différents podcasts auxquels il a participé : « Chill Out ».

Prenons du recul et regardons le théâtre du monde pour ce qu’il est : un spectacle baroque.


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